Malgré les efforts et l’engagement de certains organismes montréalais pour aider les femmes immigrantes ayant subi une forme de mutilation génitale dans leur pays d’origine, le soutien psychosocial et médical dont elles ont besoin pour arriver à se réapproprier leur corps et leur sexualité demeure insuffisant.
«J’ai quitté la maison familiale peu de temps après mon accouchement pour sauver ma fille, qui aurait été excisée si j’étais restée. Nous nous sommes cachées jusqu’au moment où l’on est parties pour le Canada», raconte non sans émotion Aminata*, arrivée du Sénégal à Montréal en 2017 avec sa fillette de quelques mois.
«L’excision est maintenant interdite dans mon pays, mais les gens continuent à la faire en cachette. Ma mère a voulu amener ma fille cadette au Sénégal pour la faire exciser après mon accouchement, mais je l’en ai empêchée», ajoute la mère de famille.
Depuis 2003, l’article 5 du Protocole de Maputo de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant sur les droits des femmes interdit toutes les formes de mutilation génitale féminine. Mais cette pratique, exercée notamment sur des jeunes filles entre l’enfance et l’adolescence, subsiste dans une trentaine de pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie.
Protection au Canada
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes toujours en vie ont été victimes de mutilations génitales, dont plus de 12,5 millions résident actuellement en Occident.
La participation à la mutilation génitale de filles et de femmes ou la prise de mesures pour sortir une enfant du Canada afin de pratiquer cette procédure dans un autre pays est un acte criminel au Canada.
Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles, le Canada reçoit chaque année des milliers d’immigrantes et de demandeuses d’asile provenant de pays où les mutilations génitales féminines demeurent une pratique courante.
Ces femmes constituent un groupe social qui doit être protégé selon la convention de Genève.
C’est encore un sujet tabou, on en parle peu au Québec, mais il y a beaucoup de femmes immigrantes qui ont été excisées dans leur pays d’origine.
Anne-Marie Bellemare, travailleuse sociale à La Maison Bleue de Parc-Extension
Soutien et accompagnement
L’équipe de professionnels de La Maison Bleue a développé une expertise pour venir en aide, pendant leur grossesse et leur accouchement, aux femmes victimes de mutilations génitales. Sages-femmes et médecins y travaillent en collaboration étroite pour assurer le suivi psychosocial et médical de ces femmes qui vivent avec des séquelles physiques et psychologiques profondes.
«L’accouchement des femmes pour qui la cicatrisation après l’excision s’est mal passée peut être traumatisant», dit Mme Bellemare, qui se réjouit de pouvoir accompagner les femmes excisées le jour de leur accouchement. «Cela ne serait pas possible si je travaillais au CLSC ou ailleurs.»
Il y avait beaucoup de monde autour de moi lorsque j’ai accouché de ma deuxième fille ici. C’était un cauchemar de devoir écarter mes jambes devant eux.
Aminata, femme immigrante excisée au Sénégal à l’âge de trois ans
Aminata se dit reconnaissante de l’accompagnement psychosocial et médical obtenu des professionnels de La Maison Bleue, mais elle déplore le manque de sensibilisation à la réalité des femmes victimes de mutilation génitale ailleurs dans le système de santé. «Ce ne sont pas tous les médecins qui sont familiarisés avec ce que j’ai vécu et ils sont surpris de voir mes lèvres découpées. Ça me met mal à l’aise chaque fois que je dois être examinée», dit la mère de famille trentenaire.
Poursuivre la sensibilisation au Québec
Formé en 2015 par Zenab Sangare, le Comité de lutte contre les mutilations génitales du Réseau d’action pour l’égalité des Femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ) offre aux femmes qui en ont été victimes un espace sécuritaire pour partager leurs histoires et leur vécu.
C’est important de continuer à sensibiliser les gens au fait que des milliers de femmes excisées vivent parmi nous.
Zenab Sangare, coordonnatrice de la Journée internationale tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines, soulignée chaque année le 6 février
«Grâce aux activités du comité, beaucoup de femmes qui avaient de la difficulté à parler de leur expérience sont devenues des relais communautaires», dit Mme Sangare, qui déplore l’interruption du soutien financier du ministère de la Justice au comité, reçu de 2017 à 2020.
En février dernier, Mme Sangare a mis sur pied la Fondation Zenab Sangare dans le but d’amasser des fonds pour aider à financer des chirurgies réparatrices et des services de soutien psychosocial et en sexologie pour les femmes victimes de mutilations génitales.
Les femmes qui souhaitent subir cette chirurgie doivent actuellement débourser jusqu’à 10 000 $, cette chirurgie n’étant pas couverte par les systèmes de santé public québécois et canadien.
«Plusieurs femmes du comité se sont fait opérer aux États-Unis ou en France dans le passé et elles s’épanouissent très bien aujourd’hui, mais peu de femmes ont accès à la chirurgie», déplore Mme Sangare.
«Les femmes excisées, nous nous sentons différentes des autres. J’aimerais faire réparer mon corps, mais je n’ai pas les moyens de payer les consultations médicales ou l’opération», nous confie Aminata.
*Nom fictif afin de protéger son identité
Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.
Un possible cas d’excision au Québec
Rappelons que le 5 mai, le Comité de lutte contre les mutilations génitales du RAFIQ a publié un communiqué en réaction au signalement d’un possible cas d’excision sur une fillette de 2 ans au Saguenay et au refus de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) d’agir.