Pousser la porte du Musée Dufresne-Nincheri, coin Sherbrooke et Pie-IX, c’est plonger dans l’histoire de la Cité de Maisonneuve, cool avant HoMa, mais aussi dans celle de Napoléon, de Marie-Antoinette et de Louis XV. Petit tour guidé.
Qui sont les Dufresne?
Oscar et Marius Dufresne ont fait construire leur château de 40 pièces – inspiré du Petit Trianon de Versailles – de 1915 à 1918 pour une somme estimée à 1 M$ à l’époque (près de 20 M$ aujourd’hui!). Les deux frères sont intimement liés à l’histoire du quartier. Originaire de Yamachiche, ils se sont installés dans la Cité de Maisonneuve, alors banlieue de Montréal, qui attirait de nombreux entrepreneurs, grâce à des subventions et à des exemptions de taxes, explique Paul Labonne, directeur du musée. Les Dufresne y installent leur compagnie de chaussures – qui produit 12 500 paires par semaine – et deviennent rapidement impliqués dans le développement de leur ville d’accueil.
L’avant-HoMa
Maisonneuve devient rapidement la deuxième ville industrielle en importance au Québec, et la cinquième au Canada. Marius Dufresne, ingénieur et architecte, s’implique dans le plan d’embellissement de la ville, pionnière en matière d’urbanisme au Québec. Marius est responsable de l’érection du Marché Maisonneuve, des bains Morgan et de la Caserne Letourneux. Les Dufresne poussent aussi l’idée de l’Expo universelle de 1917. Un plan est élaboré pour faire de l’actuel Jardin botanique le site de l’exposition (photo). On prévoit alors y aménager des fontaines, un casino, un hippodrome et même un aréna. Mais l’argent nécessaire au projet va dans l’effort de la Première Guerre mondiale et l’idée s’évanouit.
Si les murs pouvaient parler
Nous entrons dans le Château Dufresne par la porte d’en arrière, là où pénétraient jadis les domestiques. Si nous avions été les invités des Dufresne, nous serions entrés par la grande porte. Les femmes prenaient la direction du salon de thé, joliment décoré de couleurs pastel, alors que les hommes allaient discuter à la bibliothèque, plus sombre, plus sérieuse. Vous avez dit double standard? La maison, qui a accueilli le premier Musée d’art contemporain de 1965 à 1968, a failli être rasée, à la veille des Jeux olympiques, en 1975. Mais grâce à David Stewart, le lieu est sauvé des bulldozers. Le philanthrope demande alors à Nicolas Sollogoub, assistant du cinéaste Frédéric Back, de restaurer les lieux, grandement défigurés par les vandales au fil des ans. Sollogoub engage l’équipe des décors de Radio-Canada pour l’aider dans sa tâche. Neuf mois plus tard, le château a regagné ses lettres de noblesse. Une partie du mobilier original a même été racheté de la succession de Marius Dufresne. Le grand salon (photo), avec ses sculptures inspirées des opéras de Wagner, son Paul Sérusier et son piano, fait bel effet.
Cachez ces seins…
C’est l’artiste italo-canadien Guido Nincheri qui a décoré la maison des Dufresne. Il s’agit là de son œuvre profane la plus importante, lui qui a décoré, de ses fresques et de ses vitraux, plus de 200 lieux au Canada et en Nouvelle-Angleterre, surtout des églises. Le travail de Nincheri, inspiré de la mythologie, seul thème lui permettant de peindre des nus, fait de la maison un véritable musée. Quand le Collège Sainte-Croix s’installe dans le bâtiment, en 1948, les pères entreprennent une censure de l’œuvre de Nincheri. Pour ne pas exciter les élèves, on repeint et on couvre de nombreux nus. Ironiquement, cette opération a sauvé le travail de Nincheri des vandales, qui ne savaient pas que, derrière les versions modifiées, se trouvaient des originaux. La restauration des années 1970 ramène l’œuvre originale à l’avant-plan. Une deuxième phase de restauration des toiles de Guido Nincheri a eu lieu au début des années 2000 sous la direction de la restauratrice Anita Henry.
Les trésors de Napoléon et de Louis XV
Lors de leur passage au Château Dufresne, les collectionneurs Alexandre de Bothuri et son épouse Élaine Bédard tombent en amour avec le lieu. Ils décident ainsi de prêter pour cinq ans de véritables trésors à l’institution : des objets ayant appartenu à Napoléon 1er ou à Marie-Antoinette. Dans un salon, le tableau Le Général Chat du Roy Louis XV de Jean-Baptiste Oudry (photo) était jadis accroché dans la chambre de Louis XV, à Versailles. Dans la même pièce, une toute petite croix exposée aurait appartenu à Jeanne-d’Arc, puis à Joséphine, avant de passer entre les mains du tsar Nicolas II.
Dans l’atelier de Guido
Le billet du Musée Dufresne-Nincheri permet aussi, l’été, de visiter le studio Nincheri, situé au 1832, boulevard Pie-IX. L’établissement a comme projet de rénover tout le deuxième étage pour exposer les œuvres de l’artiste décédé en 1973. Tout au fond de l’atelier, gardé presque intact, on trouve, sur des papiers roulés et juchés au-dessus de nos têtes, les maquettes des nombreux vitraux réalisés par Nincheri ainsi que des morceaux de verre coloré et des fils de plomb.
Des hommes d’influence
Oscar Dufresne, le businessman de la famille, a dirigé le comité des Finances de Maisonneuve. Il a aussi été président du conseil d’administration du journal Le Devoir, qu’il a sauvé de la faillite. Marius, ingénieur et architecte, a conçu les plans du Château Dufresne en plus d’avoir réalisé de nombreux projets de bâtiments, de barrages et de ponts.