Montréal vient d’accorder un contrat de près de 1M$ à une entreprise qu’elle a poursuivie et qui a plaidé coupable pour déversement illégal.
En octobre 2014, la Ville de Montréal a révoqué le permis de déversement de la compagnie Beauregard Environnement Ltée en plus d’entamer une poursuite contre elle. La compagnie avait enfreint le règlement de l’agglomération de Montréal relatif aux rejets dans les ouvrages d’assainissement. Ce règlement stipule qu’il est «interdit de déverser [dans les structures d’épuration des eaux] des mélanges de boues de fosses septiques avec des boues de toilettes chimiques ainsi que [ces substances] auxquelles ont été ajoutés d’autres types de déchets». Or, les 28 et 29 octobre 2014, «le contenu des citernes de Beauregard Environnement déversé à la station d’épuration Jean-R.-Marcotte était composé d’un liquide jaune qui est tout à fait anormal par rapport aux produits autorisés», peut-on lire dans les documents de la Ville de Montréal.
Beauregard Environnement était alors «cliente» de l’usine d’épuration des eaux, au même titre que d’autres entreprises qui œuvrent dans le domaine de la récupération d’eaux sanitaires. Le contenu anormal des citernes de la compagnie déversées à la Station d’épuration Jean-R. Marcotte provenait donc d’autres sites et résultait de contrats privés.
L’entreprise a plaidé coupable aux trois infractions qui lui étaient reprochées en lien avec des déversements de matières interdites. Le montant total de l’amende payée est de 25 000$. Le tout a été réglé le 23 septembre dernier.
Malgré ce litige, Beauregard Environnement Ltée a soumissionné en mai 2016 à un appel d’offres de la Ville de Montréal, pour un contrat de 993 897$ d’une durée de 24 mois lié à la location sur demande d’équipement pour divers travaux de pompage et de nettoyage à la Station d’épuration des eaux usées Jean-R.-Marcotte. La compagnie a obtenu le contrat, la Ville devant octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire en vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics.
La décision a attiré les critiques de l’opposition au dernier conseil municipal.
«On trouve anormal d’accorder un contrat à un entrepreneur dont la Ville a décidé de révoquer le permis pour déversement illégal et que l’ont a poursuivi pour ce même manquement, a affirmé Sylvain Ouellet de Projet Montréal. Ce n’est pas parce que c’est le plus bas soumissionnaire conforme qu’on devrait lui accorder le contrat.»
«C’est comme si je réparais mon toit à la maison, que l’entrepreneur a mal fait sa job et que le toit coule. Cinq ans plus tard, je dois refaire mon toit et que je refais affaire avec le même entrepreneur.» – Sylvain Ouellet, de Projet Montréal
«Je ne sais pas ce que ça nous prend pour cesser de faire affaire avec quelqu’un qui n’est pas fiable, a ajouté la conseillère indépendante Lorraine Pagé. Je ne comprends pas pourquoi on a une petite gêne à passer au deuxième soumissionnaire. Il y a un proverbe qui dit: la première fois que le renard mord, il faut être fâché après le renard. La deuxième fois, il faut être fâché après nous-même. Je pense qu’on se met en situation d’être fâché après nous-même dans pas longtemps.
Avis du contrôleur général
La responsable des infrastructures de l’eau au comité exécutif, Chantal Rouleau, a dit avoir eu la même réaction que l’opposition lorsqu’elle a pris connaissance des documents de l’appel d’offres. «Je me suis demandé pourquoi nous n’y allions pas avec l’option B. Alors, j’ai demandé un avis au contrôleur général», a-t-elle ajouté lors du conseil municipal. Le contrôleur général a fait les analyses nécessaires. «Sa conclusion a été d’octroyer le contrat [à Beauregard Environnement Ltée]. La soumission la plus avantageuse pour la Ville est la sienne, étant donné que son coût de revenu annuel est le plus bas», a expliqué Mme Rouleau.
La responsable ajoute que la politique de gestion contractuelle de la Ville de Montréal ne permet pas d’exclure cette compagnie des appels d’offres de la Ville. Pour ce faire, il aurait fallu que l’entreprise ait été déclarée coupable de collusion, de corruption ou de manœuvres frauduleuses.
Beauregard Environnement Ltée n’a pas répondu à l’appel de Métro.
La professeure spécialiste en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Danielle Pilette estime qu’il ne faudrait pas remettre en question la règle du plus bas soumissionnaire, même dans ce genre de situation. «Ce qu’on veut favoriser, c’est le plus de concurrence possible et le plus bas prix possible. Si on est rendu à remettre en question cette règle, c’est que notre politique de gestion contractuelle n’est pas bonne», dit-elle.
Elle fait valoir que la Ville pourrait amender sa politique de gestion contractuelle pour y inclure une clause stipulant que des entrepreneurs ayant contrevenu à un règlement municipal puissent être bannis un certain temps des appels d’offres de la Ville.
Sinon, Montréal pourrait inclure dans un plus grand nombre d’appels d’offres une «évaluation des soumissionnaires», déjà exigée dans de gros contrats de construction. Ces évaluations exigent des entreprises soumissionnaires qu’elles respectent un certain nombre de critères, comme par exemple qu’elles aient une certaine expérience dans des contrats spécifiques. Ils doivent respecter un certain pourcentage de ces critères. «On pourrait inclure dans les critères pour un appel d’offre que l’entreprise n’ait pas contrevenu à un règlement municipal, propose Mme Pilette. Si tel était le cas, ça ne veut pas dire qu’elles n’auraient pas la contrat, mais elles diminueraient leurs chances.» Cette solution augmenterait la fiabilité des soumissionnaires, mais diminuerait l’efficacité de la Ville en augmentant sa charge de travail.