Depuis novembre, les jeunes de 12 à 17 ans ont l’obligation de présenter une carte pour être autorisé à rentrer dans la bibliothèque de la Maison culturelle et communautaire. Si l’arrondissement explique avoir mis en place cette mesure pour apaiser le climat parfois tendu qui règne dans l’établissement, la règle apparait pour certains comme étant discriminatoire et stigmatisante.
«Ça n’a pas de sens, estime Antony, étudiant en quatrième année à l’école secondaire Henri-Bourassa. Avant, on pouvait circuler et rentrer librement dans la bibliothèque. Maintenant, on nous demande systématiquement notre carte de bibliothèque ou d’école à l’entrée.»
Appliquée depuis novembre dernier, cette règle fait partie d’un ensemble plus large de mesures d’apaisement prises en novembre dernier par l’arrondissement, ayant découlé à l’instauration d’un «code de conduite» de la bibliothèque, à destination unique des adolescents. Cet ensemble de mesures semble décrié jusqu’à l’interne.
«Nous n’avons pas d’autre choix que de l’appliquer, mais cela ne nous enchante pas de devoir faire la police à l’entrée en demandant les cartes, confie une source qui préfère rester anonyme. Nous essayons de faire preuve de discernement autant que possible. Si parmi un groupe, il n’y a que quelques jeunes qui n’ont pas leur carte, nous les laissons rentrer afin qu’ils ne se retrouvent pas isolés de leurs amis.»
Pour cette personne travaillant à la bibliothèque, située à proximité de cinq établissements scolaires, cette mesure s’apparenterait à de la discrimination.
«Je pense que c’est une forme de profilage social, et les jeunes sont très frustrés quand ils se voient refuser l’entrée parce qu’ils ont oublié leur carte, explique la source. Nous devrions demander la demander à tout le monde et pas seulement aux adolescents.»
Un constat que partage la conseillère d’arrondissement Renée Chantal-Belinga, devenue indépendante après avoir quitté son parti Ensemble Montréal en août dernier.
«Je suis très mal à l’aise avec cette situation que j’ai moi-même pu constater lorsque je suis allé à la bibliothèque, assure la conseillère. Nous sommes dans un arrondissement où nous prônons la persévérance scolaire, l’inclusion et l’accès à la culture, et dans le même temps, nous mettons en place cette nouvelle règle. C’est paradoxal.»
Pour l’élue, il serait plutôt l’occasion de revoir l’infrastructure dans son ensemble.
«On a un taux de fréquentation très important dans notre bibliothèque, souligne la conseillère. Au lieu de chercher à être dans la restriction, nous avons toute une réflexion à mener pour avoir un espace plus convivial et accueillant pour nos jeunes.»
«Ramener la sécurité»
L’arrondissement justifie cette mesure par le besoin de calmer les tensions qui pouvaient exister à la bibliothèque de la MCC.
«Depuis plusieurs mois notre fréquentation augmente, particulièrement à l’heure du diner, souligne Marie Désilets, Chef de division bibliothèques à Montréal-Nord. Le climat s’est particulièrement détérioré, avec notamment beaucoup de bruit et un sentiment d’insécurité grandissant pour les usagers et les membres du personnel. Cette mesure, c’était avant tout pour ramener de l’apaisement au sein de l’établissement.»
Montréal-Nord explique s’être inspiré de ce qui se faisait déjà à St-Léonard et Rivières-des-Prairies, où le système de «cartage» des jeunes est déjà en place.
«Cela nous permet d’identifier le jeune, pour apprendre à le mieux le connaitre et lui parler, mais également à pouvoir cerner les personnes qui ne respectent pas le code de conduite, soutient la chef de division Bibliothèques. Au final, il suffit juste de présenter sa carte pour pouvoir rentrer.»
Pour Will Prosper, co-fondateur de Montréal-Nord Républik et du Forum social Hoodstock, ce ne serait pas tant la mesure qui serait au coeur du problème, mais plutôt le message qu’elle renverrait.
«À Montréal-Nord, nous avons les bibliothèques les plus achalandées de l’île, avance-t-il. Nous devrions célébrer cela et en être fiers, mais au lieu de ça, on préfère une nouvelle fois pointer du doigt nos jeunes en leur disant : on vous à l’oeil, vous faites trop de bruit.»
L’arrondissement rappelle que la carte de bibliothèque est «accessible et gratuite» pour les jeunes et que la nouvelle règle visant à la présenter systématiquement est venue accompagnée d’autres mesures.
«Nous avons également recruté un intervenant jeunesse ayant pour mission d’être axé sur le dialogue avec les jeunes plutôt que dans le comportement répressif», précise Marie Désilets.
Pour Ousseynou Ndiaye, directeur d’Un Itinéraire Pour Tous, organisme ayant ses locaux au sein de la bibliothèque de la MCC, l’arrivée de ce nouvel intervenant a fait beaucoup de bien.
«Avant cela, il y avait un agent de sécurité et ça se passait plutôt mal avec les jeunes, il y avait souvent des altercations, raconte-t-il. Depuis l’arrivée de l’intervenant, il y a beaucoup moins d’incivilités, car il a une approche différente avec les jeunes, il connait leur nom, il parle avec eux, il les conseille.»
Pas une première
En 2016, les citoyens pointaient déjà du doigt le caractère discriminatoire d’un panneau accroché devant l’Aréna Rolland. Oublié par l’arrondissement, l’encart reprenait un règlement vieux de 1990 qui interdisait notamment de «flâner sur les trottoirs, sur les rues, ou dans les parcs ou places publiques de la ville».
Quelques règles établies par le code de conduite de la bibliothèque de la MCC destiné aux adolescents:
- Adopter un comportement adéquat et dépourvu de gestes provocateurs
- Configurer son téléphone en mode vibration
- Remettre au personnel du comptoir de prêt sa carte d’étudiant ou d’abonné de la bibliothèque
- Parler à voix basse