Alors que la métropole fait face à une crise du logement, un promoteur immobilier tente de convaincre l’arrondissement de Ville-Marie de le laisser construire une immense tour résidentielle et commerciale qui ne comptera aucun logement familial en plein centre-ville, a constaté Métro.
Le Groupe Canvar, qui est derrière plusieurs projets immobiliers à Montréal, souhaite ériger une tour de 62 étages sur le terrain vacant situé au 900, rue Saint-Jacques. Ce stationnement de surface se trouve en plein coeur du centre-ville, près de la station de métro Bonaventure.
Les 10 premiers étages du bâtiment seraient consacrés à un hôtel de 200 chambres. Le reste de l’immeuble accueillerait quelque 800 logements, dont une cinquantaine, soit moins de 7%, posséderait deux chambres.
Le projet ne prévoit aucun logement familial doté de trois chambres et plus.
«Il y a plein de gens qui sont obligés de quitter leur quartier parce que les loyers ont augmenté en flèche. Et pendant ce temps, les promoteurs proposent des projets de tours de condos dont le prix d’achat n’est pas accessible pour une bonne partie de la communauté montréalaise», déplore à Métro le coordonnateur du Comité logement Ville-Marie, Gaétan Roberge.
Un avis très critique
Les élus de Ville-Marie ont pris connaissance mardi soir d’un avis du Comité consultatif d’urbanisme (CCU) sur ce projet durant la séance du conseil d’arrondissement.
Le document souligne notamment que l’immeuble proposé n’a pas une architecture correspondant à «la qualité et [à] la prestance des bâtiments de hauteurs environnants». Le CCU demande donc au promoteur de retourner à la planche à dessin et d’embaucher «un consultant en design» afin qu’il puisse «considérablement bonifier le projet».
Le comité «souhaite» aussi que le promoteur révise son offre résidentielle afin d’inclure des logements pour les familles dans la tour qu’il envisage au centre-ville. Il ne propose toutefois aucune cible précise à cet égard.
L’arrondissement n’a pas voulu commenter ce projet, celui-ci étant à un stade «trop préliminaire». Afin que le projet puisse aller de l’avant, les élus de Ville-Marie devront lui accorder certaines dérogations en regard du plan d’urbanisme, notamment une pour hauteur excessive.
«Il ne faut pas que la Ville accorde une dérogation, tant que le projet n’est pas satisfaisant d’un point de vue de mixité et d’aménagement urbain.» -Gaétan Roberge, coordonnateur pour le Comité logement Ville-Marie
«Une course contre la montre»
La Ville entend appliquer dès le premier janvier 2021 son règlement pour une métropole mixte, qui fait actuellement l’objet d’une consultation publique. Cette réglementation prévoit exiger jusqu’à 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux pour les projets immobiliers de plus de cinq logements.
Le Groupe Canvar pourrait toutefois éviter l’application de ce règlement s’il réussit à obtenir rapidement le feu vert de la Ville pour ses projets immobiliers du centre-ville.
«Les promoteurs sont dans une course contre la montre pour faire approuver leurs projets avant le 31 décembre 2020», constate Gaétan Roberge. Ce dernier craint ainsi qu’il ne reste alors «plus beaucoup de terrains disponibles» dans les quartiers centraux après l’adoption de ce nouveau règlement.
«Ça nous apparaît évident que si on impose de nouvelles contraintes, les promoteurs vont essayer d’éviter celles-ci», estime également le directeur des affaires publiques à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, Hans Brouillette. Selon lui, la Ville devrait subventionner la construction de logements sociaux et familiaux si elle veut que les promoteurs en intègrent dans leurs projets.
Le cabinet de la mairesse Valérie Plante n’a pas commenté.
Crise du logement
En 2019, le taux d’inoccupation des logements de trois chambres et plus a chuté à 0,7% dans la région métropolitaine. Les logements pour les familles frôlent même 0% d’inoccupation dans certains quartiers, notamment au centre-ville.
«On sent bien que pour les promoteurs immobiliers, ce n’est pas payant de faire des grands logements familiaux et des logements abordables. Ils font ça pour le profit, donc c’est plus payant de faire des logements d’une ou de deux pièces», se désole la porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, Marjolaine Deneault.
L’arrondissement ignore «à ce stade-ci» si les logements envisagés par le Groupe Canvar seront offerts en location ou mis en vente. Le promoteur n’a pas donné suite aux demandes de Métro.