Environ 10 000 personnes ont marché à Montréal samedi après-midi, en soutien au soulèvement populaire en Iran, estimait Amir Khadir, infectiologue et militant d’origine iranienne qui était présent en appui à l’organisation. La marche a quitté la place Émilie-Gamelin à 14h30 et s’est rendue jusqu’à la place du Canada.
En début et fin de marche, les manifestantes ont tenu des discours appelant à la révolution et au renversement du régime de la République islamique. Toutes et tous ont ensuite observé trois minutes de silence, alors qu’un enregistrement audio de manifestations en Iran rugissait sur les boîtes de son. Les manifestantes montréalaises sollicitent une plus grande solidarité internationale envers le mouvement populaire iranien, représenté par le slogan «Femmes, vie, liberté».
Entre autres, elles demandent la fin des relations diplomatiques et des relations d’affaires entre le Canada et l’Iran.
Ce message était clair: «Canada, take action, put the regime on sanction» ou «Canada, interviens, impose des sanctions au régime» en français, scandait la foule tout au long de la marche. Celle-ci appelait également à la révolution et à la fin du règne de la République islamique.
«L’institutionnalisation de la tyrannie et de la violence» et le «régime corrompu» n’ont plus leur place «dans notre pays», affirmait une manifestante. Les manifestants exigeaient un régime démocratique en Iran.
Lors des discours de fin de marche, les organisatrices ont rappelé cinq demandes à l’intention du gouvernement canadien. Celles-ci exigent la suspension immédiate de tout accord, «toute collaboration avec la République islamique», et des sanctions contre ses membres «infiltrés au Canada».
«On veut que les chefs d’État arrêtent de collaborer avec ceux de l’Iran», disait une manifestante durant la marche.
Les organisatrices exigent également la reconnaissance comme entité terroriste des Gardiens de la révolution et l’imposition de sanctions aux responsables du régime politique, sans affecter la population. Elles demandent également que des poursuites soient intentées envers les responsables de la destruction par missile du vol PS752 d’Ukraine International Airlines.
Dans les dernières semaines, le gouvernement canadien a identifié plus de 10 000 personnes responsables ou proches des responsables du régime iranien dans une liste de persona non grata, interdites d’entrée au pays.
Soixante-seize millions de dollars ont également été promis par Ottawa pour mettre en place de nouvelles sanctions financières contre des hauts placés iraniens. Il s’agit au moins de la cinquième manifestation à Montréal depuis le 22 septembre en soutien aux Iraniens et Iraniennes. Une grande chaîne humaine a notamment été formée sur la rue Sherbrooke au centre-ville le 27 septembre dernier.
Une mobilisation internationale, féministe et intergénérationnelle
Nimâ Machouf, militante d’origine iranienne, femme politique et épidémiologiste, a pris une part active à l’organisation de cette manifestation et à la coordination du collectif Woman-Life-Freedom (Femme-Vie-Liberté). Cette manifestation était principalement organisée par des femmes, et plusieurs manifestantes et manifestants arboraient des slogans féministes.
Elle affirme que le mouvement populaire iranien sera «la première révolution féministe au monde». Elle se dit réjouie et fière de la mobilisation à Montréal et rappelle que la manifestation du 22 octobre dans la métropole québécoise était coordonnée avec des mobilisations partout en Europe. Quelque 120 000 personnes ont notamment marché à Berlin, soulignait Amir Khadir.
Plusieurs étaient présents en famille, avec leurs enfants. Pour une manifestante, il était important de montrer à sa fille l’importance de la liberté et «d’avoir une voix, d’être entendue». Elle était également présente avec sa mère, qui a fait la révolution en Iran en 1979. «C’est une lutte intergénérationnelle», affirmait-elle.
Ainsi, plusieurs enfants brandissaient eux aussi des pancartes et scandaient les slogans en perse, en français et en anglais, comme «le silence est la violence».
L’Association des femmes iraniennes de Montréal était sur place, vers la fin du cortège. Elle rappelle que les Iraniennes revendiquent le choix de porter le voile et non son interdiction. Elles exigent également que la politique soit séparée de la religion: «On veut que l’Iran soit laïque», a affirmé une militante.
Les manifestants arboraient des drapeaux iraniens. Quelques-uns brandissaient également des drapeaux canadiens. L’un d’entre eux avait dessiné le drapeau de la communauté LGBTQ+ sur sa pancarte. «La communauté est elle aussi opprimée par le régime», a-t-il rappelé. Ses membres doivent vivre dans l’illégalité et «plusieurs sont tués dans les manifestations en Iran», a-t-il indiqué.
Tout au long de la marche, on a pu entendre les versions en perse et en anglais de la chanson Baraye de Shervin Hajipour, devenue l’hymne de la révolution. Une version perse de la chanson Bella ciao a aussi été entendue.
Cette marche en soutien au peuple iranien était l’une des trois manifestations se déroulant le 22 octobre. L’une d’entre elles revendiquait le changement du mode de scrutin, alors que l’autre se positionnait contre la violence domestique.
«C’est dommage qu’elles aient lieu en même temps, avoue Nimâ Machouf, soulignant l’importance de se coordonner entre militants. La nôtre a été coordonnée avec les mobilisations en Europe et en Iran. On l’a su via les réseaux sociaux après l’avoir annoncée.»
«L’une dénonce la violence étatique et l’autre, la violence domestique faite aux femmes», souligne-t-elle, expliquant que le nombre de manifestations aura probablement eu une incidence sur la force de leurs mobilisations respectives.
On a beaucoup de causes pour lesquelles se battre à Montréal.
Nimâ Machouf, activiste d’origine iranienne, femme politique et épidémiologiste
Une répression violente face à un soulèvement populaire
La population iranienne se révolte contre le régime islamique au pouvoir partout au pays depuis la mort en détention de Mahsa Amini, le 16 septembre dernier. La jeune femme de 22 ans a été arrêtée à Téhéran par la police morale parce que sa tête n’était pas couverte adéquatement.
Depuis, des dizaines d’autres décès aux mains des autorités iraniennes ont été rapportés par Amnistie internationale, dont ceux de Sarina Esmaeilzadeh, 16 ans, ainsi que Nika Shakarami, 17 ans.
Le mouvement populaire en Iran lutte non seulement pour le droit des femmes de ne pas porter le voile, mais vise plus largement le renversement du régime islamique au pouvoir.
Discrimination systémique envers les femmes, violence ethnique envers la minorité kurde, laïcisation des instances gouvernementales: les revendications du peuple iranien sont nombreuses.
Notons qu’il ne s’agit pas d’une révolution contre la religion islamique, mais plutôt contre le régime politique en place.
Le soulèvement a fait l’objet de répressions violentes de la part des autorités. Pour limiter l’organisation et la propagation du mouvement, le gouvernement iranien a entravé à maintes reprises l’accès à Internet dans les régions du pays où les tensions étaient les plus élevées.
Avec Nicolas Monet