«Je suis musulmane et je ne me suis jamais sentie représentée dans ce que je voyais autour de moi. Je crois qu’il y a beaucoup de méconnaissance, de l’incompréhension et peut-être une peur de véhiculer certains messages dans les médias et dans le cinéma», lance la réalisatrice du film À pleine voix, Saïda Ouchaou-Ozarowski, en entrevue avec Métro.
En réalisant ce film documentaire, Mme Ouchaou-Ozarowski, d’origine algérienne et berbère, tenait à nous immerger dans le quotidien de six Canadiennes musulmanes aux profils divers résidant à Montréal, Toronto, Vancouver et New York, qui partagent leurs réflexions sur leur identité et le regard envers la femme musulmane, souvent stéréotypée dans les médias et la société.
Pour cela, la réalisatrice a tenu à déconstruire les préjugés qui subsistent envers les femmes musulmanes et à faire changer la narrative exacerbée notamment depuis les attentats survenus le 11 septembre 2001 aux États-Unis.
«Je voulais que mon film permette de réaliser que nous ne pouvons pas mettre les gens dans une même case.»
Étant elle-même de confession musulmane, la réalisatrice souhaitait s’éloigner de l’image stéréotypée avec laquelle elle ne s’identifie pas en mettant de l’avant la diversité de voix et les différentes réalités des six femmes qu’elle a rencontrées.
«Ce film donne une voix à des femmes qui ne portent pas le voile. Ça me parle parce que je crois à la liberté de choix», renchérit-elle.
Paroles des protagonistes
Dans un dialogue franc et amical, les six protagonistes se confient sur leur rapport avec l’islam et sur ce qui a façonné leur identité. Leur témoignage sans censure remet donc en question nos perceptions sur la femme musulmane et déconstruit le portrait dépeint de la femme soumise et réduite au silence.
«Je suis dans un environnement où il y a de l’islamophobie […]. Pour défaire les préjugés, j’ai commencé à dire que j’étais musulmane et ça a créé beaucoup de surprise parce que les gens ont une vision fausse des femmes musulmanes. Ce n’est pas moi qui suis l’exception, c’est-ce que vous avez dans la tête qui ne correspond pas à la réalité», exprime dans le film Kenza Bennis, Canadienne d’origine marocaine, auteure du livre Les Monologues du voile.
«Comme je ne porte pas le foulard sur ma tête et que je ne cache pas mes cheveux, je ne suis pas visiblement musulmane […]. Je suis une citoyenne comme tout le monde, du Canada, du Maroc et du monde. J’ai une religion, mais la personne en face de moi n’a pas besoin de savoir quelle est-elle», dit sa co-protagoniste Loubna Akhabir.
«Notre religion insiste sur la relation entre toi-même et Dieu, personne ne doit te dire comment t’exprimer ou quel genre de musulman tu devrais être», lance sa consoeur Eman El-Husseini, humoriste d’origine palestinienne, qui voulait défier les stéréotypes depuis un très jeune âge.
Sonia Ghaya raconte pour sa part comment, plus jeune, elle contestait le côté patriarcal de sa culture et sa religion. «Dans un élan de rébellion, j’ai tout rejeté [ses origines marocaines et musulmanes] jusqu’à l’âge de 18 ou 19 ans, mais en vieillissant, je me suis rendu compte que d’avoir rejeté cette partie chez moi m’a déséquilibré en tant que personne. Je ne me retrouvais ni du côté des Québécois de souche ni du côté des Marocains musulmans.»
«Un des problèmes qu’il y a depuis les derniers siècles, c’est la masculinisation de l’autorité religieuse musulmane. […] Les femmes ont été invisibilisées à travers l’histoire […] Les jeunes Québécoises musulmanes ont le droit de vivre leur foi et de comprendre que leur foi n’est pas en contradiction avec la société dans laquelle elle vivent», exprime de son côté Asmaa Ibnouzahir, fondatrice de l’Institut F à Montréal.
«Beaucoup d’enfants de la deuxième génération ressentons qu’il y a une sorte de rigidité plus conservatrice [de la part des parents] autour de la culture. Dans la vingtaine, je sentais que je devais maintenir les choses […]. Je me rends compte en vieillissant que c’est l’évolution naturelle et la progression des cultures […]», partage l’artiste Farheen Haq, mère de deux enfants issus d’un mariage mixte.
Inciter le dialogue interculturel
Le film documentaire sera présenté gratuitement à la Bibliothèque interculturelle de Côte-des-Neiges dimanche 27 novembre à 13h30. La projection sera suivie d’une discussion à micro ouvert avec le public, animée par le professeur Norman Cornett,retraité de l’Université Mc Gill et de l’Université de Californie à Berkeley et spécialiste en sciences des religions.
«À pleine voix soulève l’enjeu de la réconciliation entre les femmes et l’islam. Ce film est pour moi un moyen de démystifier l’altérité qui guette les sociétés multiculturelles», soutient M. Cornett, qui tient notamment à favoriser le dialogue entre les cultures qui habitent le quartier de Côte-des-Neiges, où il réside.
«L’islamisme et la réalité des femmes musulmanes font partie intégrante du tissu culturel de ce quartier. Sur la question de la loi 21 et la laïcité, d’une actualité brûlante, mon intention est d’ouvrir un débat au sujet des enjeux abordés dans le film.»
Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.