Les rues de Montréal sont devenues un canevas à ciel ouvert où graffitis et murales se côtoient, parfois malgré eux. Les graffitis s’invitent de plus en plus sur les œuvres murales, phénomène qu’ont remarqué plusieurs résidents. Certains y voient une rivalité entre muralistes et graffeurs, mais la vérité serait ailleurs.
Monk.E a commencé à graffer sur les murs de Montréal en 1997. Il avait alors 14 ans. Ce n’est que bien plus tard qu’il a réalisé ses premières murales, et il en compte à présent près d’une dizaine rien qu’à Montréal. «Aujourd’hui, je fais encore du graffiti», plaide-t-il, défendant la coexistence des deux formes d’art, entre lesquelles la frontière ne serait pas si nette.
Y a pas tant de délimitation entre muraliste et graffeur. C’est pas deux choses complètement à l’opposé. Il faut arrêter d’opposer les mondes du muralisme et du graffiti.
Monk.E, rappeur, graffeur et muraliste
Selon le graffeur-muraliste, la cohabitation entre les deux est une réponse naturelle à l’évolution de l’environnement urbain. Monk.E trace à cet égard un parallèle avec la biodiversité. «Pour la même raison que lorsqu’une espèce animale grandit dans un écosystème, cet écosystème va créer des parasites et prédateurs pour le relancer. C’est la même chose avec les murales: plus il y en a, plus il va y avoir de graffitis pour rééquilibrer.»
Rappelons que réaliser un graffiti peut conduire à une amende allant de 100 $ à 300 $, plus les frais, à Montréal.
Une réponse aux institutions
L’artiste explique que les graffeurs ont toujours été en quête de visibilité, tout en luttant contre – ou en ignorant – le jugement et le rejet de la société pendant des années. «Pendant toutes les années 1990, on a crié notre existence en étant sous-aimés, sous-appréciés, catégorisés, jugés. Maintenant, les gens adorent les murales, mais toujours pas le graffiti», fait-il valoir.
Alors que la Ville voulait se débarrasser des graffitis, elle a progressivement intégré l’art mural dans ses rues, en donnant naissance aux murales institutionnalisées. Tout cela, au point de faire grincer des dents.
En effet, cette intégration n’a pas toujours été bien perçue par certains graffeurs. LeBron* parcourt régulièrement la ville pour y apposer son tag, son pseudonyme. Pour lui, le graffiti est une façon de se faire connaître et respecter. «On va pas souvent le faire sur les murales. […] Mais est-ce qu’on pose la question au muraliste quand il peint par-dessus mon graffiti?» lâche-t-il.
Les graffeurs ne sont pas contre les murales en tant que telles, mais plutôt contre le fait qu’elles sont utilisées comme un outil pour les exclure de l’espace public et les empêcher de s’exprimer librement.
Monk.E, rappeur, graffeur et muraliste
Les tensions ne viennent pas nécessairement de la rivalité entre graffeurs et muralistes, mais plutôt du manque d’espace et de la technique utilisée par l’institution pour contrer le graffiti illégal. «Si vous utilisez les murales pour nous taire, on va passer par-dessus les murales parce que c’est votre outil d’oppression à vous du moment», résume Monk.E.
Cohabitation difficile
L’artiste s’est déjà lui-même fait graffiter certaines de ses murales, ce qui ne l’étonne pas vraiment. «On revient au même combat des années 90, là où le graffiti est devenu presque accepté socialement (avec les murales), une partie du monde du graffiti se retrouve amputé», regrette-t-il.
Il ajoute que les institutions et les décideurs doivent également prendre leurs responsabilités pour faciliter cette coexistence: «Les autorités doivent reconnaître la valeur du graffiti en tant qu’art et ne pas simplement l’assimiler à du vandalisme. Elles doivent encourager les initiatives qui favorisent l’échange et la collaboration entre les artistes urbains, plutôt que d’opposer ces deux mondes.»
C’est finalement l’approche qu’a adoptée le muraliste Arnaud. Sur la murale ci-dessus, peinte sur les habitations Boyce-Viau, on retrouve des centaines de graffitis bien cachés. En effet, chaque fois qu’un nouveau dessin apparaît par-dessus son œuvre, l’artiste repasse de la peinture blanche afin de recréer sa murale initiale, et y intègre le graffiti dans un grand mélange de couleurs.
Certains arrondissements ont aussi mis en place des murs entièrement destinés aux graffeurs. Parmi ceux-là: des panneaux situés dans les trois parcs suivants de Lachine: Carignan, LaSalle et Kirkland, mais aussi sous le pont Papineau-Leblanc, sous le viaduc De Rouen, et le mur du parc Michel-Ménard à Lachine.
«On doit établir un dialogue entre les muralistes et les graffeurs, et créer des espaces dédiés à chacun pour permettre une cohabitation harmonieuse. Les graffeurs ont besoin d’espaces pour exprimer leur art sans contraintes, tandis que les muralistes peuvent continuer à embellir la ville avec leurs œuvres», conclut Monk.E.
*Son nom a été modifié pour protéger son anonymat.
L’art mural, un argument pour le tourisme à Montréal
«Les œuvres murales sont souvent taguées par des vandales. C’est pour nous un énorme manque de respect que de vandaliser une murale. Visiblement, certains graffeurs se foutent de ces codes-là, c’est vraiment dommage. […] Nous sommes pour les graffitis lorsque ceux-ci sont faits dans la légalité. Les graffitis deviennent alors de vraies œuvres d’art et évidemment que l’art urbain dynamise et embellit notre paysage», insiste en entrevue avec Métro Aurélie de Blois, porte-parole de Tourisme Montréal.
Selon elle, ces tags donnent une impression de malpropreté «sur laquelle on se doit d’agir et vite». «C’est néfaste pour notre rayonnement à l’international, mais aussi pour les résidents.»
Elle insiste sur le fait que l’art urbain réalisé légalement a toute sa place dans la métropole. «Nous sommes fiers de promouvoir l’art urbain et les murales de Montréal, qui contribuent à l’attractivité de notre ville. Il est crucial de trouver un équilibre entre la liberté d’expression artistique et le respect des espaces publics et des œuvres existantes.»
Dans l’attente d’une solution durable, la Ville de Montréal a mis en place un programme de nettoyage pour répondre aux plaintes et préserver les œuvres murales. Toutefois, les artistes et les acteurs culturels continueront de réfléchir à la meilleure façon d’encadrer l’art urbain, afin que les graffitis et les murales puissent coexister harmonieusement et enrichir le paysage de la métropole.