Les prochaines recrues du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) prendront part à une expérience immersive avec diverses communautés avant leur entrée en fonction. À partir de l’automne prochain, pendant quatre semaines, les futurs policiers seront intégrés à des organismes communautaires ou à des familles afin d’être exposés à différentes réalités culturelles, notamment autochtones, et à des enjeux d’itinérance.
Le SPVM veut ainsi combattre «les deux solitudes» et l’incompréhension qui existent entre la population et ses agents, a expliqué le directeur du service de police, Fady Dagher, lundi matin, lors d’une conférence de presse soulignant ses 100 premiers jours en poste. «La police envers les communautés, mais aussi les communautés envers le métier de policier», a-t-il précisé.
Rappelons que c’est une initiative similaire, alors qu’il était chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), qui a initialement amené Fady Dagher dans l’œil du public. «Ce ne sera pas un copié-collé», note-t-il cependant, soulignant que la réalité montréalaise est beaucoup «plus complexe».
L’immersion permettra aux recrues d’être confrontées à des situations de santé mentale ou de violence conjugale dans un contexte autre qu’une intervention, où le niveau de stress est élevé, a ajouté M. Dagher. Elles pourront aussi mieux comprendre les intervenants sociaux qui les appuieront lorsqu’ils répondront aux appels d’urgence.
Les policiers vont intégrer deux par deux des groupes ou des familles pour «vivre avec eux jour, soir, à l’épicerie, un peu partout», a-t-il illustré. «Pour vraiment saisir les codes des familles, les codes de la rue.»
Pour l’instant, le manque d’effectifs empêche le programme d’être offert à tous les agents du SPVM. Cependant, à terme, l’objectif est qu’il soit élargi à tous, a indiqué M. Dagher.
«Dissuasion ciblée» contre les violences armées
Le SPVM mettra en place des mesures de «dissuasion ciblée» au cours de l’été pour s’attaquer à la violence armée, a également annoncé Fady Dagher.
Les policiers exerceront donc une pression constante sur des individus dont le comportement indique «qu’ils pourraient prendre part ou même être victimes d’un épisode de violence armée», a-t-il déclaré.
L’identification des «comportements préoccupants» se fera en suivant la progression de jeunes qui «ne sont pas tout à fait encore criminels, mais qui se dirigent vers là» à partir de renseignements criminels et de données probantes. Cette détermination se fera sans égard à leur appartenance à un groupe particulier, a assuré M. Dagher.
Nous allons scruter les comportements.
Fady Dagher, directeur du SPVM
«On va avoir un œil très, très vigilant sur [les personnes visées]», a déclaré le chef de police, sans vouloir donner plus de détails sur la forme que pourrait prendre une intervention de «dissuasion». Les policiers interviendront lorsqu’ils seront «presque sûrs» qu’un individu prépare un «grand coup».
Malgré une «tolérance zéro pour ceux qui sont armés et qui font des fusillades», la réponse ne sera pas seulement répressive, a-t-il souligné. Des acteurs communautaires interviendront auprès des familles pour éviter «qu’elle reste dans un désarroi ou que d’autres membres soient tentés de se tourner vers la criminalité», a poursuivi Fady Dagher.
Le SPVM espère ainsi «remonter la filiale» jusqu’aux instigateurs des conflits armés, généralement plus âgés. C’est un «manque de contrôle» des chefs des organisations criminelles qui fait que de plus en plus d’adolescents sont impliqués dans des évènements impliquant des armes, a expliqué M. Dagher. Ceux-ci auraient moins de respect pour la hiérarchie de ces organisations et agiraient plus selon leur propre volonté.
Les épisodes de violence armée à la baisse
Fady Dagher a profité du bilan de ses 100 premiers jours en poste pour faire un bilan statistique des violences armées. Depuis le 1er janvier, le SPVM a effectué 107 arrestations en lien avec les armes à feu, saisissant 249 armes. «Chaque arme saisie est peut-être une vie sauvée», s’est réjoui le directeur du service de police.
Du 1er janvier au 30 avril 2022, il y a eu 5 meurtres et 18 tentatives de meurtre liés aux violences armées et 43 décharges d’armes à feu à Montréal, contre un seul meurtre, 14 tentatives et 35 décharges durant la même période en 2023. «Ça ne veut rien dire. Demain soir, il peut y avoir un évènement malheureux qui fait remonter les statistiques», a toutefois rappelé M. Dagher.
Un nouvel appel au définancement
La Coalition pour le définancement de la police rejette l’idée que l’approche communautaire prônée par Fady Dagher puisse résoudre les problèmes de profilage racial et social à Montréal. Le SPVM a adopté une police «communautaire» depuis les années 80, et cette approche aurait contribué à augmenter le profilage, affirme la Coalition, par communiqué.
Comme son nom l’indique, ce réseau de 80 groupes milite pour la réduction du rôle de la police et le définancement partiel du SPVM, afin que ces fonds publics soient réinvestis dans des services sociaux et programmes communautaires. La vision du nouveau chef de police est loin d’être «avant-gardiste», mais s’inscrit plutôt dans le «statu quo», aux dires du regroupement.
Notre approche actuelle accorde une importance démesurée à la police, tout en sous-finançant, ou en ne finançant simplement pas, les divers services et programmes communautaires qui ont une efficacité démontrée pour prévenir la violence et pour répondre à d’autres enjeux de sécurité.
Coalition pour le définancement de la police
«Les milieux communautaires sont sous-financés de manière annuelle», a reconnu Fady Dagher lundi. Celui-ci a toutefois réitéré la nécessité d’avoir une composante répressive et immédiate pour la sécurité et la prévention du crime. Un corps policier a également besoin de ressources pour améliorer sa présence sur le terrain et sa proactivité, a-t-il plaidé.
«Ce n’est pas l’un ou l’autre [la police ou les organismes communautaires], c’est l’un et l’autre», a-t-il souligné.