Dans un essai politique intitulé Changer les règles du jeu, Mélanie Joly affirme que nos institutions politiques ont besoin d’un sérieux lifting. Ouverture de données, services plus personnalisés, financement direct de projets citoyens, l’ex-candidate à la mairie de Montréal plaide pour un État plus ouvert et plus flexible.
Vous critiquez le système politique en place dans votre essai. Êtes-vous soulagée de ne pas avoir été élue et de ne pas baigner dans la politique active?
Non. Présentement, je suis à l’extérieur du système politique et je pousse pour essayer de le transformer. Si, un jour, je suis en politique, ma bataille sera la même. Avec ce livre, je peux parler avec mon cœur et dire le fond de ma pensée.
Vous dites qu’il faut repenser notre façon de faire de la politique. Est-ce que les acteurs en place peuvent opérer ce changement ou faut-il du sang neuf?
C’est difficile d’être dans la dynamique politique et d’être proactif. Trop souvent, nos politiciens sont en mode réaction. C’est ce que les médias et l’administration imposent. Je pense que certains politiciens sont ouverts à une réforme, mais cette idée trouve surtout un écho dans la population. Notre société a évolué beaucoup plus rapidement que ses institutions politiques.
Les jeunes sont désengagés politiquement mais, selon ce que vous écrivez, ils ont le sens de la communauté et souhaitent améliorer leur société. Ils s’impliquent davantage dans des initiatives communautaires que politiques. Est-ce la nouvelle façon de contribuer?
Oui. Il y a un énorme engagement citoyen communautaire et philanthropique. Les jeunes sont à la recherche de plateformes où ils peuvent s’impliquer, mais ils ne voient pas comment ils pourraient changer les choses et se réaliser en politique.
Avez-vous fait le même constat? Est-ce pour cette raison que vous avez quitté le monde politique, du moins à moyen terme?
Je suis optimiste par rapport au monde politique. J’ai développé une croyance voulant que je sois capable, de par mon travail, de réformer les choses. J’ai attendu près d’un an afin de pouvoir briguer un siège à l’hôtel de ville, mais aucun ne s’est libéré. Et il fallait un chef élu à l’hôtel de ville. L’attente me gardait dans un purgatoire contreproductif.
Les bébé-boumeurs représentent encore un électorat très fort. Les jeunes devront-ils attendre encore quelques années pour faire valoir leurs points de vue?
Avec les pressions économiques et sociales actuelles, il n’y a pas lieu d’attendre. L’État est endetté, nos ménages aussi et les possibilités de croissance sont limitées… La prise de conscience et les actions doivent peser plus lourd qu’une question de générations.
Les politiciens vont faire ce constat?
Je pense qu’il va y avoir des mouvements sociaux et citoyens qui vont prendre de plus en plus de vigueur. Ici et ailleurs.
Vous dites qu’avec le système actuel, il est extrêmement difficile, même pour un politicien, de prendre une idée simple et de la réaliser. Vous préconisez une administration plus flexible, plus efficace, qui ouvrirait ses données et qui offrirait des services personnalisés. Comment réaliser cet important changement de culture?
Quiconque pense que le système politique actuel est bon est en déphasage avec la population. En ce moment, on entend beaucoup parler de compressions pour rendre l’État plus efficace, mais on ne propose pas de solutions. Nous craignons, à tort, que de réformer notre système affectera le filet social. Il faut assurer la mission de l’État, qui est de redistribuer la richesse. Les politiciens devront s’ouvrir à toutes les idées. Pour l’heure, il manque de volonté pour aller chercher toute l’expertise dont la population pourrait bénéficier.
Dans votre essai, vous faite la part belle aux mégadonnées (big data), des données qu’une administration peut analyser pour faciliter la gestion de sa ville. Pourquoi Montréal, souvent décrite comme très créative, est-elle en retard dans ce dossier?
Il n’y a pas vraiment de volonté politique à cet égard. À New York, Michael Bloomberg a été très novateur quand il a mis de l’avant cette idée. À Montréal, on vient de nommer un directeur de l’information numérique… Nos façons de faire sont basées sur des conventions collectives – et c’est important. Mais quand vient le temps d’opérer un changement, il faut bien faire les choses pour éviter les conflits de travail. Réformer l’administration n’implique pas de couper des postes. Simplement de mieux utiliser les ressources. S’il faut développer les compétences des employés, on le fera! Ils sont assez intelligents pour ça.
Vous dites qu’en analysant les mégadonnées de la Ville, les décisions seraient guidées par des faits plutôt que des idéologies.
Exactement. La partisannerie, c’est contre productif! Le but d’une administration, d’un gouvernement, c’est de respecter son contrat social en rendant des services à la population. C’est là que le bât blesse présentement. Tout pourrait être fait de façon plus efficace, sans que les actions politiques ne soient basées sur des motivations idéologiques et partisanes.
Comment voyez-vous Montréal?
Je vois Montréal comme une ville très créative, où il fait bon vivre. La force de la ville, c’est ses gens. Mais Montréal est très en retard en matière d’infrastructures. Il y a un sous-investissement massif en transport collectif. C’est ma plus grande critique de l’administration Coderre. Il y a quatre ans, la Société de transport de Montréal était l’une des sociétés de transport les plus respectées en Amérique du Nord. Je ne suis pas convaincue qu’on arriverait à la même conclusion si on refaisait le test aujourd’hui. Il y a des projets d’infrastructures importants à mettre en place. Pendant la campagne électorale, nous avons mis de l’avant le projet de réseau de service rapide par bus (SRB). Si Montréal se lançait, elle aurait un projet très mobilisateur et pourrait démontrer au monde entier sa créativité.
Changer les règles du jeu
Demain matin, vous vous retrouvez à ces postes. Quelle est la première chose que vous changez?
- Ministre de l’Éducation. Je pousse pour augmenter mon budget et pour que les universités et les collèges mettent leurs cours en ligne afin de favoriser l’accès à la connaissance.
- Ministre de la Défense. Avec les Affaires étrangères, je m’assure de repositionner le Canada comme l’une des grandes forces du maintien de la paix dans le monde.
- Mairesse de Montréal. Je mets de l’avant un réseau de service rapide par bus (SRB). Pour moi, le transport en commun doit être au centre de la vision d’urbanisme.
- Entraineuse du Canadien. Je gagne la Coupe Stanley, c’est aussi simple que ça!
Changer les règles du jeu
Québec Amérique
En librairie le 15 octobre