Montréal

Hors du commun: Préjugés gratinés

Chaque semaine, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 55, direction nord. Nous sommes lundi, il est 14h40. Je me suis posée à côté d’un homme, tout à l’arrière du bus. Il a, de visu, à peine 30 ans. Plusieurs projets l’occupent relativement à son style. Comment le décrire?

Hipster: par sa barbe bien dense et intense. Les piercings pointus qui ornent son nez, son sourcil gauche et ses oreilles relèvent plutôt de l’allure punk. Pour compléter le portrait, on ajoute un soupçon de gothique pour ses lèvres, ses cheveux et ses ongles, tous très noirs.

Ses atours aussi improbables qu’originaux se marient finalement assez bien et le rendent joyeusement marginal.

D’un sac de toile posé sur ses genoux, je sens, du coin de l’œil, qu’il sort un livre.

Je ne regarde pas tout de suite, souhaitant éviter qu’il se sente épié. Je me demande de quel genre d’ouvrage il est question. Je m’attends à tout : un récit de vampires, la biographie d’un obscur chanteur berlinois ou encore un guide de voyage pour la ville de Portland.

Je compte jusqu’à 23 avant de regarder.

C’est mon délai de fouine discrète. J’ai établi, de manière tout à fait arbitraire, que 23 secondes étaient le laps de temps qui servait de paravent à l’intrusion, entre un observateur et une personne observée.

Arrive enfin le moment où je découvre que notre punko-gothico-hipster est plongé dans un livre de recettes des plus raffinées. Comme quoi, encore une fois, le festival du préjugé s’en prend plein la gueule. Poussée par ma curiosité, je ne compte même pas jusqu’à trois et étire le cou pour reluquer quel mets mérite ainsi toute son attention. Il s’agit d’un gratin de ravioles aux oignons caramélisés.

Je suis émue. Pourtant, des chefs constellés de tatouages, on en voit souvent à la télévision depuis quelques années. Il n’existe plus vraiment de normes quand vient le temps de parler «cuisine et décorum».

Mais quand même. Imaginer cet homme, penché au-dessus de ses fourneaux, cuisinant son gratin de ravioles me confirme encore une fois que le monde se trouve bien souvent là où ne l’attend pas.

Et nous, petits humains trop souvent bardés d’a priori, même malgré nous, devrions toujours réussir à surmonter rapidement nos préjugés.

Au maximum en comptant jusqu’à 23.

Articles récents du même sujet

Exit mobile version