Pour Jacques Gagnon, il n’y a pas que les excès d’alcool qui donnent mal à la tête. Les déboires judiciaires aussi. La cour municipale de la Ville de Montréal a retiré son permis de conduire à l’homme de 72 ans, qui avait choisi de se reposer dans sa voiture après avoir consommé de l’alcool. Et ce, même s’il n’avait aucune intention de conduire.
Nous sommes en février 2013. Après un dîner arrosé entre amis dans le Vieux-Montréal, l’ingénieur à la retraite retourne à son véhicule. Jacques Gagnon paye sa place de stationnement jusqu’à 16h et s’installe sur le siège, côté conducteur, pour un petit somme.
Un policier réveille alors l’homme encore ivre. Hébété, Jacques Gagnon lui montre son billet de stationnement, toujours valide. Sa ceinture n’est pas attachée, preuve de plus selon lui qu’il ne compte pas conduire. Rien n’y fait. Il est 15h45 lorsque le policier l’arrête pour capacités affaiblies par l’alcool. Les tests d’alcoolémie montreront que Jacques Gagnon avait 158 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, soit presque le double de la limite légale.
Lors de son audience devant la Cour municipale, Jacques Gagnon soutient qu’à aucun moment il ne comptait mettre en marche son véhicule. À la sortie du restaurant, il s’était d’abord dirigé vers la station de métro Place d’armes, avant de perdre l’équilibre, de trébucher et de changer d’avis. Par la suite, les mains ensanglantées à cause de sa chute, Jacques Gagnon a tenté de trouver un taxi pour rentrer chez lui, sans succès.
À ce moment-là, Jacques Gagnon ressemblait probablement «bien plus à un itinérant aviné à la recherche d’un transport gratuit qu’à un ingénieur retraité», peut-on lire dans les documents de cour.
La sentence tombe deux ans après les faits: permis de conduire suspendu. Dans une décision rendue le 5 juin dernier, le juge Gilles Pelletier estime qu’étant donné l’état avancé d’alcoolisation du septuagénaire, il est impossible d’être certain que Jacques Gagnon n’aurait pas changé d’avis après sa sieste et n’aurait pas pris la route.
Et si Jacques Gagnon s’était endormi sur le siège côté passager?
Pour les agents de la paix, si un individu est à l’intérieur d’une voiture et en possession des clés, il est alors considéré comme étant en garde et en contrôle du véhicule, peu importe le siège occupé.
Par la suite, c’est aux tribunaux de déterminer si l’individu avait l’intention de conduire ou non.
«Quand on a pris trop de boisson, on reste loin de son véhicule pour sa propre sécurité et celle des autres», rappelle André Desrochers, porte-parole du Service de Police de la Ville de Montréal.
Présomption de culpabilité
Alfredo Munoz, président de SOS Ticket, souligne qu’il faut donner le bénéfice du doute à la personne qui se défend. Dans les cas de facultés affaiblies à cause de l’alcool, l’ancien policier déplore qu’ «au lieu d’être innocent jusqu’à preuve du contraire, on est coupable jusqu’à preuve du contraire.»
Il rappelle que Jacques Gagnon n’avait aucun casier judiciaire. «Bien que pendant 70 ans, tu as démontré que tu étais une personne honnête, en quelques minutes, on pense que tu es un criminel, que tu aies eu l’intention de conduire ou pas.»
Contacté au téléphone, l’avocat de Jacques Gagnon a indiqué que la cause sera portée en appel d’ici vendredi. «Le jugement se base sur très peu de faits, indique Me Serge Raby. Nous ne sommes pas d’accord avec l’interprétation du juge.»