Punaises de lit, cheveux dans un bol de potage ou service à la clientèle qui laisse à désirer sont toutes des mauvaises expériences que les voyageurs tentent d’éviter. Avant de faire une réservation, ces derniers se basent sur des commentaires laissés sur des plateformes très populaires telles que TripAdvisor et Yelp. Des commentaires souvent inventés de toute pièce. Et l’industrie du tourisme montréalais n’est pas à l’abri de cette pratique.
Ni TripAdvisor, ni la plateforme anglophone Yelp n’exigent de leurs utilisateurs qu’ils aient effectué une réservation à l’hôtel ou au restaurant, par exemple, sur lequel porte leur commentaire, contrairement à des sites comme Booking.com ou Expedia.ca. Résultat: rien ne certifie que ces derniers ont réellement visité les endroits en question. «Le trois quart du temps, les sites à propos desquels je commentais, je n’y avais jamais mis les pieds», raconte Charlotte (nom fictif), qui a travaillé de 2008 à 2010 pour une agence de marketing française qui avait recours à ce stratagème.
Si en 2008 le recours aux faux commentaires ou aux usagers fantômes était «marginal», selon Charlotte, la pratique est aujourd’hui répandue dans tous les pays. En 2013, 19 entreprises new-yorkaises se sont vues imposer par le procureur général des amendes totalisant 350 000$. Ces entreprises payaient des agences intermédiaires – basées au Bangladesh et aux Philippines pour la plupart – pour qu’elles rédigent de fausses critiques publiées sur Yelp, Google, CitySearch et Yahoo.
«Entre 8 et 10% des commentaires laissés sur des sites d’avis sont faux. Ça peut paraître peu, mais quand on considère qu’environ 300 millions de commentaires y circulent au total, ce pourcentage correspond à pas mal de commentaires.» –Frederic Gonzalo, consultant e-marketing spécialisé en tourisme
Yelp dit se faire un point d’honneur de retracer les internautes malveillants, selon les propos de la relationniste pour Yelp à New York, Kayleigh Winslow. «Si de tels réseaux internationaux touchent New York, Montréal n’est certainement pas à l’abri», admet tout de même sa collègue et directrice de la communauté Yelp à Montréal, Risa Dickens.
La plateforme web se prémunit des faux avis par un algorithme qui filtre automatiquement les commentaires suspects. Quelques employés confirment ou infirment ensuite le doute soulevé par le programme informatique. Ainsi Yelp ne recommande que 70% du contenu publié par ses membres. «On compte beaucoup sur l’esprit de communauté pour dénoncer les malintentionnés et généralement ça fonctionne», avance Mme Dickens.
Charlotte, qui a appris à éviter les soupçons, croit pour sa part que la dénonciation par la communauté a ses limites. Changer de nom et de photo d’utilisateur, d’adresse courriel et d’adresse IP sont des astuces quotidiennes. «Je me suis faite bannir à quelques reprises de certaines plateformes, mais c’est rare que nos clients qui achetaient ce service, eux, en souffrent. La traçabilité est très difficile à prouver.»
Une ancienne employée d’une importante agence de publicité québécoise souhaitant garder l’anonymat assure que la pratique en marketing est courante ici comme ailleurs. «Les agences de pub basées au Québec font appel à des agences intermédiaires ou des fournisseurs quand elles mettent en marche une campagne, sur les médias sociaux surtout, a-t-elle expliqué. Les clients [NDLR: les acheteurs de la campagne publicitaire] ne sont pas forcément toujours au courant de l’utilisation de faux utilisateurs, la plupart le sont par contre», a-t-elle précisé. Au moment de mettre sous presse, Métro n’a pas pu confirmer ces allégations auprès de l’agence de publicité en question qui a remis à trois reprises les entrevues planifiées.
TripAdvisor n’a pour sa part pas donné suite à nos demandes d’entrevue.
Flou juridique
Au Québec, aucun dispositif légal ne permet d’assurer un contrôle sur ce qui se publie en ligne. «Il revient aux intervenants touristiques d’assurer une veille de leur réputation [sur ces plateformes et sur les réseaux sociaux], de suivre ce qui se dit sur leur établissement et de rectifier les faits, le cas échéant», a répondu le ministère du Tourisme par courriel. Tourisme Montréal assure par ailleurs n’avoir reçu aucun signalement de citoyens ou d’entrepreneurs bernés.
La loi sur la concurrence, de compétence fédérale, s’applique toutefois «tant aux publicités traditionnelles qu’aux publicités cachées», a spécifié le responsable des communications du Bureau de la concurrence, Phil Norris. L’organisme gouvernemental a effectivement reçu des plaintes relatives à des faux commentaires en ligne et se dit «préoccupé» par la pratique frauduleuse. Impossible toutefois de nous confirmer le nombre ni si ces signalements provenaient d’hôteliers ou de citoyens.
Mise à l’épreuve
Afin de vérifier comment il peut être facile pour un entrepreneur d’obtenir les services de rédacteurs afin qu’ils écrivent de faux commentaires en ligne, Métro a publié une fausse offre d’emploi rémunéré sur Kijiji. En moins de 48 heures, cinq intéressés s’étaient manifestés.
Parmi les réponses obtenues, un ancien employé de Yelp a raconté avoir reçu à deux reprises des demandes pour rédiger de faux commentaires en échange d’argent alors qu’il travaillait pour la plateforme anglophone, offres qu’il affirme avoir refusées. L’homme n’a toutefois pas voulu répondre davantage à nos questions. Autrement, une étudiante en informatique se prêtait volontaire, moyennant une rémunération, pour écrire de faux commentaires, mais aussi pour créer un site web.