Alors que la saison des camps de jour arrive à grands pas, les parents de nombreux enfants handicapés font face à un casse-tête pour trouver une place dans un camp adapté, abordable et près de chez eux.
Depuis le début de l’hiver, comme chaque année, une cinquantaine de parents désespérés ont appelé l’organisme AlterGo, qui gère le Programme d’accompagnement en loisir de l’île de Montréal (PALÎM).
«Plusieurs organismes disent : “On ne vous prend pas, car vous êtes handicapé et c’est trop de trouble.” Des fois, les parents se font dire non 12 fois avant de réussir à avoir une place», a déploré Lise Roche, directrice de l’accessibilité universelle en loisir à AlterGo.
«J’ai appelé partout sans succès. Soit il n’y a plus de place, soit il n’y a pas les sous, soit il n’y a pas le personnel nécessaire», a indiqué la mère d’un garçon d’une trentaine d’années ayant une déficience intellectuelle avec autisme qui a préféré conserver l’anonymat.
Pourtant, la Charte des droits et libertés interdit que les camps de jour refusent automatiquement les jeunes handicapés ou les dirigent vers un camp spécialisé. Selon la Commission des droits de la personne, tous les camps doivent tenter d’intégrer ces enfants dans leurs groupes. Le PALÎM permet de les aider dans cette tâche, en finançant notamment un accompagnateur individuel pour les enfants ayant des besoins particuliers, que ce soit en raison d’un handicap physique, d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA).
«C’est toujours un coup de dé. On ne sait jamais si on va avoir droit à de l’accompagnement et pour combien de semaines. La réponse arrive à la mi-juin, ce qui est tard pour planifier mes vacances avec mon employeur.» –Geneviève Labrecque, mère d’Hubert, qui a la trisomie 21
Mais voilà, l’enveloppe accordée à ce programme financé par le gouvernement provincial et la Ville de Montréal est passée de 794 926 $ à 1,16 M$ en 10 ans, ce qui est insuffisant pour répondre à la hausse de la demande, selon Mme Roche. «Les organismes ne reçoivent qu’une portion de ce dont ils ont besoin (NDLR : environ 50 % des demandes, selon la Ville). Ils doivent donc assumer une partie des coûts d’accompagnement», a souligné Mme Roche.
Résultat : certains camps ne respectent pas leurs obligations, alors que d’autres acceptent tout le monde et se retrouvent avec un lourd fardeau à assumer. L’Association sportive et communautaire du Centre-Sud (ASCCS) fait partie de la deuxième catégorie. «L’an dernier, le tiers du budget du camp, soit environ 100 000 $, a été consacré à l’accompagnement de 45 enfants ayant des besoins spéciaux. Il nous reste les deux tiers pour nous occuper des 520 autres jeunes, a rapporté la coordonnatrice de l’accessibilité, Anne-Marie Éthier. Les gens viennent d’aussi loin que Kirkland et Rivière-des-Prairies, parce qu’ils n’ont pas de ressources dans leur milieu.»
L’an dernier, le gouvernement a accordé à l’ASCCS 20 000 $ en aide, principalement par l’intermédiaire du PALÎM, le reste devant être trouvé par l’organisme. «Pour l’instant, ça fonctionne avec notre budget, parce qu’on a créé une fondation qui nous permet de nous autofinancer. Mais dans deux ans, est-ce que nous devrons limiter notre offre de services?» s’inquiète Mme Éthier.
Selon Mme Roche, la situation serait déjà plus enviable pour les parents si tous les camps faisaient leur part. C’est justement ce à quoi travaille l’Association des camps du Québec (ACQ) depuis environ deux ans. L’ACQ a diffusé, sur son site internet et dans le cadre d’une tournée du Québec, un guide d’information sur les obligations juridiques des camps et le traitement d’une demande d’accommodement.
«On s’adapte à la croissance de cette clientèle, a commenté Éric Beauchemin, directeur général de l’ACQ. Si un camp n’est pas approprié pour un enfant, on en aura fait la juste démonstration avant de diriger l’enfant vers un camp spécialisé.»
«Si Gabriel ne fréquente pas d’autres jeunes pendant la période estivale, il va faire de l’anxiété, des crises d’épilepsie. C’est important, pour la santé mentale de l’enfant et des parents, qu’il continue de socialiser.» –Catherine Chayer, mère d’un enfant sourd ayant une déficience motrice et une déficience intellectuelle
Une situation plus précaire
Pour les enfants très lourdement handicapés qui ne peuvent être intégrés aux camps «réguliers», la recherche est encore plus difficile.
Il y a une vingtaine de camps spécialisés pour enfants ayant des besoins particuliers dans la région de Montréal, qui ont un nombre limité de places. Par exemple, le camp d’Autisme Montréal accueillera cet été 153 enfants, et 25 sont sur la liste d’attente. De plus, la majorité des camps n’acceptent que certains types de handicaps.
«Ceux qui accueillent des enfants lourdement handicapés, comme le mien, se comptent sur les doigts d’une main. Aussitôt qu’il y a du gavage, très peu de camps ont les ressources et l’équipement nécessaires», a remarqué Nathalie Richard, mère de David, qui ne peut se nourrir par lui-même et qui est diabétique. Lorsque Métro lui a parlé, en avril, Mme Richard venait d’apprendre que le camp que fréquentait son fils ne pouvait plus le prendre en raison de son âge, et elle ne savait pas encore où elle allait pouvoir l’envoyer cet été.
Plusieurs de ces parents doivent se rabattre sur des camps coûteux qui se trouvent loin de chez eux. C’est le cas de Catherine Chayer, qui fait partie d’un groupe de parents de 12 enfants qui ont été exclus, au printemps 2015, du camp Espace Multisoleil par manque de ressources. Ces derniers sont toujours en attente d’une décision de la Commission des droits de la personne.
«Il faut prendre conscience qu’il y a de plus en plus d’enfants multihandicapés, puis consacrer des ressources pour s’en occuper», a plaidé Mme Chayer.
La Ville de Montréal a mis sur pied cette année un comité formé d’organismes spécialisés pour «explorer et documenter la situation des personnes ayant des limitations sévères afin de bonifier les interventions collectives». Ce comité n’a toujours pas émis de recommandations. La Ville consulte aussi une liste de parents ayant des difficultés de placement.
«Les responsables d’un camp de jour qui a un programme d’inclusion pour enfants handicapés m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas prendre Vincent parce qu’il serait difficile de rouler son fauteuil dans le gazon et qu’ils n’avaient pas d’endroit pour changer sa couche. J’ai dû me tourner vers un camp spécialisé, mais j’aurais préféré qu’il soit intégré avec des enfants normaux. Ça l’aurait stimulé et ça aurait été un plus pour les autres enfants.» –Marie-Anick Lapointe, mère d’un enfant atteint de paralysie cérébrale