Dans un texte publié vendredi par Le Devoir, Christian Rioux comparait la diversité à des étalages de poissons au «goût et la texture insipides du décongelé», destinés aux ordures. Il associait à Obama le slogan «United Colors» – tiré pourtant d’une campagne de 1984 de Benetton qui la sépare de près de 25 ans de l’élection d’Obama. Et en plus d’évoquer un «racisme à l’envers», il faisait renaître la figure de l’immigrant sans racines, abondamment sollicitée par les discours fascistes du XXe siècle, comme le soulignait le militant Jérémie Bédard-Wien.
Plusieurs ont dénoncé le racisme contenu dans la chronique de Christian Rioux alors que d’autres, il fallait s’y attendre, ont remis en question ces accusations. Quel racisme? Pointez-moi le racisme dans le texte! ont défié certains défenseurs des défendus. On suppose que pour ces gens-là, rien n’est vraiment raciste en-deçà de «les n**** puent», et encore, il s’en trouverait parmi eux pour nuancer qu’il n’est pas faux d’affirmer qu’il arrive que certaines personnes issues de l’immigration dégagent des odeurs différentes de celles de la majorité. Mais le racisme ne se présente pas toujours de manière aussi flagrante. Le défi est de le déceler dans les beaux habits qu’il revêt à l’occasion, comme dans ce texte à la fois très habile – parce qu’il en aura berné plus d’un, dont le président du PQ, qui le partagera avec enthousiasme avant de se rétracter – et très confus de Christian Rioux.
Notamment, le racisme se cache parfois dans la remise en question gratuite de la place des personnes racisées dans les domaines encore dominés par la majorité blanche. À ce titre, cette affirmation de Christian Rioux en fournit peut-être l’exemple le plus concret : «Il en va de même de ces humoristes ethniques qui ne sont trop souvent que les pâles copies des stand-ups américains les plus commerciaux. À quoi bon une telle “diversité”?»
Simplement ça. Ben oui. À QUOI BON Mariana Mazza, Mehdi Bousaidan ou Eddy King? À quoi bon les imitations judicieuses de Neev, les personnages absurdes de Richardson Zéphir ou les caricatures de Kevin Raphaël, qui n’ont absolument rien de pâle? À quoi bon le Couscous comedy show? À quoi bon Adib Alkhalidey, l’un des humoristes les plus raffinés, sensibles et intelligents de l’heure, et, accessoirement, porte-parole du journal qui daigne encore publier les propos Rioux?
Le correspondant du Devoir sait-il seulement de quoi il parle lorsqu’il remet en question la pertinence de ces «humoristes ethniques»? On imagine qu’il connaît Dieudonné pour l’avoir abondamment couvert, et Sugar Sammy, pour l’avoir profondément au travers de la gorge. Il en conclut que les «humoristes ethniques» sont trop souvent de pâles copies de stand-ups américains commerciaux. Et que dire des innombrables humoristes bien de souche – je ne nommerai pas de nom ici, mais faites votre propre liste – qui ne sont pas nécessairement des modèles d’audace ou d’originalité. Pourquoi dénoncer le racisme de Peter McLeod quand on peut s’en prendre à la grammaire trop calquée sur l’anglais de Sugar Sammy?
On rappellera pourtant que les membres de la diversité ne sont pas légion sur la scène culturelle québécoise. À ce titre, lorsque Christian Rioux parle de diversité à la télévision, il est forcé de la résumer à la «multiplication des chaînes». On ne s’attendait pas à ce que Moi & Cie devienne un symbole d’inclusion, mais rendu-là… Parce que la réalité, c’est que seulement 5% des premiers rôles à la télévision sont tenus par des personnes racisées, comme le souligne cette réponse collective nécessaire.
Contrairement au texte de Christian Rioux, qui s’appuie sur des comparaisons sans queue ni tête, sur des recherches qui commencent à dater, sur des références confuses à Benetton et sur une interprétation farfelue d’une fable de La Fontaine, le discours sur la diversité, lui, ne repose pas sur rien. Il s’appuie sur le constat d’inégalités à abattre. Ces inégalités sont déjà abondamment documentées. L’ironie a fait en sorte qu’elles étaient démontrées de manière magistrale par une série de Rima Elkouri publiée dans La Presse au même moment où Rioux ressentait le besoin d’agiter l’épouvantail de la diversité, qui constituerait une vague menace à son privilège de vivre dans un monde où tout est bien enraciné – idéalement dans les années soixante – et où le poisson, à défaut d’être frais, est bien local.