On dit que l’important, c’est que tout le monde en parle. Depuis quelques années, Bell nous convie à parler de santé mentale à l’aide du mot-clic #BellCause et s’engage à remettre des fonds à des initiatives en santé mentale. Généralement bien perçu, le projet a été critiqué sous à peu près tous les angles. D’abord pour son aspect marketing. Nous ne sommes pas dupes: nous savons très bien que cette générosité s’échange contre une visibilité positive pour l’entreprise de télécommunications.
D’autres ont soulevé que l’initiative, comme n’importe quelle entreprise de philanthropie, participait de la privatisation d’enjeux sociaux relevant de la responsabilité de l’État, favorisant le désengagement de ce dernier dans ces domaines. Ce virage corporatiste entraîne plusieurs effets, comme celui de permettre aux compagnies d’orienter selon leurs priorités et leurs intérêts le discours dominant sur l’enjeu de leur choix. Ainsi, certains ont reproché à l’initiative de Bell de mettre l’accent sur la responsabilité individuelle en santé mentale (parles-en, va chercher de l’aide, etc.) plutôt que sur les aspects systémiques de l’enjeu, comme la responsabilité des entreprises et du gouvernement.
Par ailleurs, cette journée consacrée à la santé mentale peut difficilement faire autrement que de mettre en lumière le manque de ressources dans ce domaine. Alors qu’on implore les gens d’aller chercher de l’aide, le constat est que cette aide est difficile à obtenir, que les listes d’attente sont interminables et qu’avoir une bonne assurance et un emploi qui permet des congés de maladie constitue un privilège non négligeable. Ironiquement, une ancienne employée d’une division de Bell a publié hier, en prenant bien soin d’utiliser le mot-clic #BellLetsTalk, un texte dans lequel elle dénonce le fait d’avoir été renvoyée de l’entreprise après avoir demandé un congé pour maladie mentale.
Sur un plan plus personnel, après avoir révélé l’an passé, dans le cadre de la journée #BellCause, que j’avais vécu des attaques de panique, je me suis questionnée sur les effets d’une initiative incitant des personnes parfois vulnérables à parler de santé mentale. J’ai reçu plusieurs commentaires très positifs, des messages de soutien et des confidences, mais aussi certains jugements. Je n’étais pas dans un état de vulnérabilité, mais je ne recommanderais pas à une personne en dépression de se prêter à l’exercice. En effet, la santé mentale continue de faire l’objet de tabous et de préjugés, et la tâche de renverser cette stigmatisation ne devrait pas incomber aux personnes qui en sont les victimes.
Tout cela étant dit, le simple fait que ces enjeux soient sur la table aujourd’hui est en grande partie le fruit des efforts de Bell. En plus de remettre des millions de dollars pour régler quelques-uns de ces problèmes, l’entreprise force les journalistes à trouver des angles originaux par lesquels aborder cet enjeu, incite les vedettes à témoigner de leurs moments les plus sombres et ne rouspète pas trop quand des intellectuels de gauche critiquent l’initiative. Parce qu’elle sait que l’important, c’est que tout le monde en parle.