Et c’est reparti. On ne s’en sort pas. Aux suites d’une plainte déposée, l’hôpital Saint-Sacrament, de Québec, vient de retirer un crucifix qui, jusqu’alors, ornait un mur quelconque de son établissement.
N’en fallait pas plus afin de faire sortir de leurs gonds certains animateurs de radios X, Éric Duhaime au premier chef. La perte de notre identité, disent-ils. Une pétition est sitôt lancée afin de réinstaller, urgemment, l’emblème catholique par excellence.
On peut évidemment se questionner sur les raisons invoquées au soutien de la requête. Le crucifix, encore un symbole de l’identité québécoise? Possiblement, bien entendu, pour une certaine frange de la population. Celle qui, sans trop vouloir généraliser, a grandi à travers les prismes du catholicisme. Aucun jugement ici, cela va de soi, chacun étant libre de ses convictions religieuses. Seulement qu’il semble bien peu probable que ces mêmes convictions, incluant leurs symboles, constituent toujours un socle de l’identité québécoise moderne. Mais peu importe, au fond.
Peu importe, parce que là n’est pas le problème. Ce dernier réside plutôt en ceci: ceux et celles qui, hier encore, plaidaient pour la neutralité religieuse de l’État mais qui, aujourd’hui, crient à l’injustice du fait du crucifix retiré. On pense ici à Bernard Drainville, ex-ministre en charge du dossier Charte des valeurs.
Pas plus tard que la semaine dernière, le nouveau co-animateur de Duhaime affirmait, par voie de tweet, que de «permettre l’expression du religieux dans l’État, c’est faire primer les convictions religieuses sur toutes autres.» Ceci est conforme, sur le plan communicationnel, aux lignes employées lors des débats, chauds, sur la Charte. Sur le plan des communications pures, dis-je bien. Parce que sur le plan du fond, on aura rapidement compris que cette même neutralité servait davantage de prétexte pour une quelconque «catho-laïcité». Celle par qui on préservait les «valeurs québécoises», notamment par le refus, sous peine de congédiement, du port de signes religieux dits ostentatoires par les fonctionnaires de l’État.
Évidemment, on répliquera, et c’était le cas de Drainville, que la mesure s’appliquait également aux catholiques. Fort bien. Sauf que, et toujours selon l’ex-ministre, l’interdiction ne visait pas «la croix que grand-maman portait à son cou». Bon. Vous en connaissez beaucoup, vous, des cathos qui affichent une croix grand format? C’est ainsi pourquoi la quasi-entièreté du débat portait, plutôt, sur le voile musulman. Le coeur de la stratégie déployée. Pas un mot, ou presque, sur la kippa juive ou le turban sikh. Encore moins sur la «croix de grand-maman». À un point tel où il était prévu, dans le projet de loi, que le patrimoine catholique du Québec serait alors préservé. Le crucifix à l’Assemblée nationale, par exemple, là même où aurait été adopté le projet de loi en question. En bref, pour la neutralité, on repassera. Idem pour la laïcité.
Drainville appuie le retour du crucifix à l’hôpital Saint-Sacrament? Malgré le culot, pas vraiment une surprise. Plutôt de la cohérence dans l’incohérence.