TORONTO — Omar Khadr ne peut se soustraire à un jugement civil en reniant aujourd’hui les aveux faits en 2010 devant une commission militaire à Guantanamo, estiment les avocats de la veuve d’un militaire américain tué en Afghanistan.
Dans leur plaidoirie écrite, les avocats de Tabitha Speer, veuve du soldat des Forces spéciales Chris Speer, soutiennent que les tribunaux canadiens doivent admettre en l’état un exposé conjoint des faits signé par les parties au procès pour crimes de guerre du jeune Canadien, peu importe s’il a menti sous serment en admettant qu’il avait lancé la grenade mortelle.
Les requérants soutiennent qu’aucun tribunal — que ce soit au Canada ou aux États-Unis — n’a conclu que les aveux du jeune homme avaient été obtenus sous la contrainte. Les avocats rappellent d’ailleurs que M. Khadr a déjà tiré profit de ses aveux, en obtenant une peine réduite et la possibilité d’être détenu au Canada.
Les avocats soutiennent aussi qu’il n’est pas pertinent ici de rappeler comment les militaires américains avaient traité M. Khadr, âgé de 15 ans lors de son arrestation en Afghanistan en juillet 2002. L’adolescent a ensuite été détenu à la prison de Guantanamo, où il a été maltraité et privé de ses droits fondamentaux, ont conclu les tribunaux canadiens.
Les requérants américains demandent à la Cour du banc de la reine de l’Alberta d’exécuter le jugement d’un tribunal civil de l’Utah, qui ordonnait en juin 2015 à Omar Khadr de verser des dommages de 134 millions $ US à la veuve du soldat Speer et à l’ex-soldat Layne Morris. Chris Speer a été tué dans l’offensive américaine contre des insurgés, et son frère d’armes a perdu l’usage d’un oeil. Le jeune Omar Khadr a été grièvement blessé lors de cette même opération.
Des aveux intéressés
En échange de huit ans de prison supplémentaires, et la possibilité de purger le reste de sa peine au Canada, Omar Khadr, originaire de Toronto, a accepté en 2010 de reconnaître sa responsabilité, devant un tribunal largement discrédité dans le monde. Il a plus tard soutenu que ces aveux détaillés, inscrits dans un exposé conjoint des faits rédigé par les procureurs militaires américains, constituaient la seule façon pour lui de revenir au Canada. Il soutient aussi aujourd’hui ne plus se souvenir de ce qui s’est réellement passé lors de cette offensive de quatre heures en Afghanistan il y a quinze ans.
Dans sa défense en Alberta, Omar Khadr maintient que les Américains et les autorités canadiennes ont violé les droits fondamentaux d’un enfant-soldat. Dans sa plaidoirie écrite déposée en novembre, son avocat, Nate Whitling, soutient que la commission militaire était en fait un tribunal bidon, qui a collé des crimes sur le dos d’Omar Khadr malgré son jeune âge et les allégations de torture.
Selon M. Whitling, la Cour suprême du Canada a conclu que les aveux incriminants faits par M. Khadr en détention violaient les normes canadiennes les plus élémentaires en matière de traitement des suspects mineurs détenus en attente d’un procès.
Le gouvernement canadien lui a d’ailleurs offert l’été dernier ses excuses et une indemnité de 10,5 millions $ dans le cadre du règlement d’une poursuite civile. Les plaignants américains ont aussitôt demandé à un tribunal de l’Ontario de geler les actifs de M. Khadr en attendant que le jugement de l’Utah soit exécuté au Canada.
M. Khadr, aujourd’hui âgé de 31 ans et marié, a été libéré sous caution en 2015 en attendant qu’un tribunal américain entende l’appel de sa condamnation.