MONTRÉAL — Les actions collectives se multiplient au Québec, mais on peut se demander à quoi servent certaines d’entre elles: parfois, seulement 20 pour cent des victimes demandent leur part de l’argent obtenu. Une chercheuse a même vu des taux de réclamation extrêmement faibles d’un pour cent, voire de zéro pour cent.
Mais pour que l’argent aille bel et bien dans les poches des personnes lésées, les juges font preuve de créativité et adoptent des outils du 21e siècle: Facebook et Youtube!
Pour faire savoir que de l’argent est prêt à être distribué, ils délaissent les avis traditionnels dans les journaux en faveur des réseaux sociaux. Une petite révolution dans un milieu où l’informatisation traîne de la patte.
Car si gagner une action collective est une victoire en soi, son but est d’indemniser ceux qui sont restés bloqués toute une nuit sur une autoroute enneigée ou celles qui se sont fait poser des prothèses mammaires toxiques.
Mais comme une action collective permet à un représentant de l’intenter au nom de tous ceux qui ont été touchés, beaucoup de victimes ignorent son existence. Ainsi, les taux de réclamation — le pourcentage de victimes qui vont chercher leur argent dans le processus de distribution — sont parfois très faibles. Et cela, malgré les frais d’avocats engagés et les ressources judiciaires monopolisées.
On peut penser ici à ce litige relié aux sabots de Denver: trois personnes seulement ont réclamé leur dû. Et Catherine Piché, professeure de droit et chercheuse à l’Université de Montréal, rapporte avoir vu quelques dossiers où les taux de réclamation ont été de… zéro pour cent.
Elle donne deux cas en exemple: celui des espadrilles tonifiantes de marque Reebok qui promettaient mer et monde en termes de forme physique et de perte de poids, et celui du site de rencontre Yahoo qui aurait fait de fausses représentations en mettant en ligne de faux profils attirants. Une ou deux personnes ont fait une réclamation dans ce dernier cas, rapporte-t-elle: «Ce sont des dossiers ridicules. Ils ne devraient même pas être dans le système.»
Il y a des actions collectives qui ne valent pas la peine d’être intentées, convient aussi l’ex-juge en chef de la Cour supérieure François Rolland. «Mais cela demeure un formidable outil d’accès à la justice», dit-il.
Des taux de réclamation d’un pour cent, «ça peut arriver», mais si les règlements sont bien publicisés et les montants sont significatifs, les gens vont réclamer, croit-il.
Au Québec, on a de bons taux de réclamation, estime Mme Piché, qui étudie de près les actions collectives. Si elle a vu des taux de 0 pour cent, elle en a vu de 100 pour cent aussi. Mais il manque de données pour analyser la situation à fond, car une fraction minime des dossiers d’action collective contiennent un rapport avec cette information. Elle souhaiterait les obtenir car les taux de réclamation aident quand même à mesurer l’efficacité des recours.
Pour elle, quand la majorité des membres d’une action collective obtiennent quelque chose, c’est un succès. Les taux actuels sont assez satisfaisants, bien qu’ils ne soient «pas excellents».
Il faut reconnaître que l’action collective est une forme de justice approximative, explique la professeure: «On collectivise les réclamations, les dommages et le recouvrement. On ne s’attend pas à la perfection.»
Selon M. Rolland, qui travaille maintenant notamment comme médiateur pour des actions collectives, les faibles taux de réclamation ont une cause principale: les maigres sommes en jeu. Les citoyens ne feront souvent pas de démarches pour obtenir quelques dollars, dit-il.
La facilité de réclamation est aussi un facteur. Les dossiers champions sont ceux où l’indemnisation prend la forme d’un remboursement directement dans le compte bancaire du client ou d’un crédit sur la prochaine facture d’un service de téléphone, par exemple. Récemment, il a aussi été permis que des personnes réclament sans facture.
M. Rolland a dit en avoir vu des recours en «copiés-collés»: des avocats d’ici surveillent les recours intentés aux États-Unis et se dépêchent d’en déposer un au Canada. Des «chasseurs de recours», comme il les appelle.
Mais il ne voit pas d’abus du système. «Ces recours étaient bien fondés aux États-Unis et ici, insiste-t-il. Ce n’est donc pas au détriment du consommateur.»
Et ça permet de taper sur les doigts des entreprises qui ont fait quelque chose qui n’est pas correct, lance l’ex-juge.
Il ne s’inquiète pas d’un gaspillage des ressources judiciaires: même si ces recours sont très médiatisés, la grande majorité des actions collectives se règlent à l’amiable. Ce n’est pas ce qui monopolise le plus les tribunaux, a-t-il constaté lors des ses années sur le banc.
De la publicité sur internet
La publicité des recours gagnés en cour ou conclus par règlement est cruciale, insiste M. Rolland.
Traditionnellement, les avis étaient publiés dans les journaux, juste à côté des avis nécrologiques. Aujourd’hui, une telle approche «est moins efficace», convient la professeure Piché.
Utiliser les réseaux sociaux permet de rejoindre beaucoup plus de gens, fait-elle remarquer, «et pendant plus longtemps», car les avis restent en circulation sur l’internet. Il est aussi possible de cibler différents groupes d’âge, là où ils se trouvent.
L’une des campagnes de publicité-clé est celle qui a été concoctée pour l’action sur les mémoires vives des ordinateurs DRAM, qui s’est conclue il y a quelques années. Avec un taux élevé de distribution d’argent aux personnes lésées, c’est l’exemple que tout le monde veut reproduire.
Les juges sont très ouverts à utiliser les réseaux sociaux et la technologie, lance Mme Piché. François Rolland est d’accord, mais estime qu’il y a encore du travail à faire par les avocats.
Par contre, il faut dire que les campagnes de publicité coûtent cher et sont payées à même l’argent obtenu en Cour. «Si la campagne coûte 5 millions $ et qu’on a eu 10 millions $, cela ne vaut peut-être pas la peine», fait remarquer Me Josiane Fréchette, d’Option consommateurs.
Et puis, parfois, sur internet, les gens sont méfiants et ils ont peur que la publicité soit en fait une arnaque, dit-elle. Malgré ces quelques difficultés, cela en vaut la peine. Quand avez-vous lu pour la dernière fois la page des avis des journaux? demande Me Fréchette.
Quant aux sommes non réclamées, où vont-elles? Une partie retourne dans les coffres du Fonds d’aide aux actions collectives, pour en financer d’autres. Et le reste va à des organismes caritatifs, choisis, dans la mesure du possible, parce qu’ils ont un lien avec la cause du litige.
Des campagnes dans les médias sociaux qui ont marché
Mémoire vive DRAM
Il était reproché à ces fabricants d’avoir comploté pour fixer illégalement à la hausse le prix de leurs produits.
Ils ont convenu de verser plus de 79 millions $ pour indemniser tous ceux qui ont payé trop cher pour de la mémoire vive DRAM ou un produit électronique qui en contenait.
Il était possible pour les consommateurs de faire une réclamation même sans facture.
La campagne, effectuée par une page internet dédiée à cette action collective, avec une présence sur Facebook et Twitter, a généré plus d’un million de réclamations. Le juge au dossier a autorisé un plan de communication ayant un budget d’une valeur de 3 millions $, dont l’objectif avoué était d’améliorer le taux de réclamation. Des publicités à la télévision et à la radio ont aussi été diffusées, en français et en anglais, à des heures de grande écoute, est-il mentionné dans une étude récente d’Option consommateurs.
Mousse.payante.com
Dans cet autre cas de fixation de prix, il a été reproché aux fabricants d’avoir comploté pour déterminer le prix auquel ils vendaient une mousse de polyuréthane flexible, entraînant le gonflement des prix pour les entreprises et les consommateurs.
Une entente à l’amiable a été conclue pour 38 millions $.
Une campagne fort présente sur internet appelée «Mousse payante» avec un slogan «Réclamez votre 20 $» a informé les Canadiens qu’ils pouvaient récupérer de l’argent s’ils ont acheté des objets contenant cette mousse comme des matelas et des canapés.
Verglas
Et pourquoi pas des vidéos? Dans le cadre de l’action collective contre les compagnies d’assurances qui avaient fait défaut d’indemniser les victimes de la tempête de verglas de 1998 au Québec, des vidéos avaient été mises en ligne sur Youtube pour expliquer l’action collective.