Boisbriand, août 2000.
Mme Lizotte, vous serez ma prof cette année. J’ai vu votre nom sur les papiers que l’école a envoyés et j’ai été un peu déçue. En juin, les élèves parlaient de la rentrée et disaient qu’ils espéraient avoir l’autre enseignante de quatrième année plutôt que vous, parce qu’elle est plus jeune et qu’elle a l’air cool. Je ne me doute alors pas du tout que vous serez une des profs dont je me souviendrai toute ma vie.
Je suis arrivée dans cette école l’an dernier parce que mes parents, qui sont séparés depuis quelques années, ont finalement vendu la maison familiale. On est donc emménagées, ma sœur, ma mère et moi dans un joli jumelé ici, mais je ne me sens pas encore tout à fait chez moi: nouvelle ville, nouvelle maison, nouvelle école et nouveaux camarades de classe que je n’appelle pas encore des amis. Pourtant, cette année marquera mon enracinement chez moi, et c’est un peu (beaucoup) grâce à vous.
J’aime déjà la lecture et l’écriture, mais cette année Mme Lizotte, vous me ferez croire en mes compétences et vous m’encouragerez à les développer. Vous me ferez découvrir que j’adore les présentations orales car j’ai une facilité à m’exprimer non seulement avec un crayon, mais aussi avec ma voix et mon corps. Vous me direz que j’ai un talent pour les mots et vous écrirez ceci sur une de mes compositions: «J’ai hâte de lire un roman de Christine Manzo plus tard». Sachez que je me souviendrai toujours de cette phrase et que je garderai en tête le projet d’écriture dont vous avez semé la graine avec la véritable ambition de le réaliser un jour.
Vous n’en avez sûrement aucune idée, mais vous me ferez du bien cette année. Mme Lizotte, vous êtes douce, même si vous êtes autoritaire. Vous ne faites pas peur, vous inspirez simplement le respect. J’apprendrai bientôt que vous êtes également sensible et attentive à vos élèves, même à ce qu’ils ne vous disent pas. Lorsque je commencerai à m’arracher les cheveux – littéralement – au cours de l’année, probablement à cause d’un stress que je ne saurais moi-même expliquer, vous me demanderez de rester après l’école pour parler. Vous me poserez des questions sur cette drôle d’habitude sans me mettre de pression et sans que je me sente jugée. Évidemment, vous avertirez ma mère et, même si je serai forcée de porter une demi-couette pendant des mois pour cacher le trou de cheveux que j’ai sur le dessus de la tête, je finirai par laisser tomber cette manie et je vous en remercierai. (Avec du recul, éventuellement, je rirai même beaucoup du petit mohawk que la repousse de cheveux aura fait apparaître en plein dans ma séparation et que j’aurai tant bien que mal essayé de dissimuler!)
Mme Lizotte, je vous souhaite une bonne rentrée. Je ne sais pas l’âge que vous avez, mais vous êtes enseignante depuis longtemps déjà. Peut-être que vous êtes fatiguée ou démotivée, je n’en ai aucune idée, mais pour moi ce sera une grande année. Je vous raconte tout ça parce que, peu importe votre état d’esprit à l’idée de recommencer à travailler, je veux vous dire que vous serez importante pour moi et j’espère que vous ne douterez jamais de la différence que vous pouvez faire dans les vies de cette poignée d’enfants assis devant vous tous les jours durant les dix prochains mois. Vous ne marquerez probablement pas tous les élèves de votre classe à chaque année, c’est vrai, mais vous réussirez à en toucher un, deux, trois ou même plus et ça fait de vous une âme merveilleuse. J’aimerais que vous passiez le mot à vos collègues professeurs car, peu importe leur personnalité ou leur approche, qu’ils vous ressemblent ou non, ils sauront eux aussi émouvoir, intéresser et allumer des jeunes cette année.
Je ne le sais pas encore, mais ma quatrième année en sera une décisive. Une année qui forgera mon caractère et qui dessinera le chemin que prendra ensuite ma vie. Mme Lizotte, je vous remercie d’avance pour votre dévouement et votre travail acharné. J’ai très hâte de vous rencontrer.
Bonne rentrée.
Christine