Plusieurs organismes qui oeuvrent en santé mentale ont dénoncé lundi l’approche médicale, qui omettrait de s’attaquer au problème de fond, soit l’isolement social, la pauvreté ou la violence que vivent les personnes atteintes de maladies mentales. Ils ont interpellé les nouveaux élus pour changer les pratiques de lutte à la santé mentale.
À deux jours de la journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre, le regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ) et plusieurs autres organismes ont tenu à rappeler que les conditions de vie des Québécois étaient intimement liées aux problèmes de santé mentale. Lors d’un rassemblement devant la station de métro Mont-Royal, ils ont lu plusieurs témoignages récoltés l’an dernier, qui illustrent les problèmes sociaux et économiques que vivent les personnes atteintes de maladies mentales. Isolement social, pauvreté, violence, problèmes de logement et manque d’écoute, ces facteurs accentuent les problèmes vécus par ces personnes, alors que les soins proposés par le système de santé privilégient davantage la médication que le soutien psychosocial.
«Aujourd’hui, chacun est dans sa bulle et personne ne sait ce que les gens vivent. En faisant cet évènement, ça permet aux gens de se rendre compte qu’ils ne sont pas tout seuls, et qu’ils peuvent trouver des solutions collectivement», a déclaré le président du conseil d’administration du RRASMQ, Yves Brosseau. Depuis six ans, le RRASMQ organise les journées de l’alternative en santé mentale, pour rappeler que d’autres approches sont possibles.
Pour la responsable à l’action sociopolitique du RRASMQ, Anne-Marie Boucher, le lien entre pauvreté et santé mentale est indéniable. « C’est un peu l’œuf ou la poule, si on vit de la pauvreté, on est plus à risque de développer un problème de santé mentale, par ce qu’être pauvre, c’est très stressant et le stress est le facteur numéro un des causes de la maladie mentale. Mais si on a un problème de santé mentale, on est plus à risque de vivre de la pauvreté, par ce que c’est plus difficile de garder un emploi, il y aura de la stigmatisation pour trouver un logement aussi», a-t-elle expliqué.
Le problème, a-t-elle ajouté, c’est que la santé mentale est davantage traitée comme un problème médical que comme un enjeu social. Résultat, de plus en plus de personnes sont diagnostiquées, et la consommation de médicaments comme des antidépresseurs a explosé dans les dernières années, sans que les problèmes de fond soient traités.
C’est pour ces raisons que de plus en plus de Québécois atteints de problèmes de santé mentale se tournent vers des organismes qui proposent des solutions alternatives, à savoir des suivis psychologiques, des activités de groupes, de la méditation ou du sport, par exemple.
«Les personnes qui souffrent, ils nous signalent qu’il y a un problème dans la société, il faut les écouter et y répondre, sinon il va y avoir de plus en plus de souffrance et les gens vont tomber les uns après les autres» – Anne-Marie Boucher, responsable à l’action sociopolitique du RRASMQ.
Peter Balland est l’un d’eux. Diagnostiqué dépressif, on lui a prescrit des antidépresseurs qui n’ont fait qu’accentuer ses problèmes. «Je les ai pris pendant deux semaines, je ne pouvais pas endurer les effets secondaires du médicament», a-t-il témoigné. Il s’est ensuite tourné vers une ressource alternative où il a pu rencontrer d’autres personnes atteintes des mêmes syndromes que lui, participer à des formations ou des groupes de paroles. Il s’est engagé aussi, en devenant bénévole, «pour ne pas devenir une loque humaine», et «servir la communauté». En mutualisant leurs ressources, lui et d’autres patients ont pu partir en vacances, ce qui est bien souvent impossible pour ces personnes précarisées par la maladie mentale. «Ça nous remonte le moral, ça nous remet sur pied», a-t-il ajouté.
En avril 2017, L’Organisation des Nations unies (ONU) a publié un rapport dénonçant les problèmes de prise en charge des personnes atteintes de maladies mentales. L’ONU a souligné «la stigmatisation et la discrimination, la violation des droits économiques, sociaux et autres, le déni d’autonomie et la privation de la capacité juridique» que vivent ces patients. Pour Anne-Marie Boucher, il est urgent de remettre le patient au cœur du processus de guérison, alors que trop souvent, leurs besoins ne sont pas entendus, voire niés, au détriment d’une médication parfois contre-productive pour les aider à s’en sortir.
Alors que le nombre de prescriptions d’antidépresseur chez les jeunes a augmenté de 50% dans les quatre dernières années, Anne-Marie Boucher met en garde contre la surmédication, et des diagnostics effectués parfois trop rapidement. Surtout, elle invite à chercher des solutions dans le collectif, puisque chaque citoyen a un poids pour rendre la société plus vivable, et moins apte à créer des problèmes d’anxiété et de dépression. Pour elle, la lutte à la santé mentale est un enjeu éminemment politique, puisque la maladie mentale est liée au rythme de vie, aux politiques néo-libérales et à la primauté de l’économie face à l’humain.
«Il faut reprendre le contrôle des leviers politiques, et se dire qu’on a une possibilité d’agir sur les normes du travail, le temps de travail, de vacances. On a les leviers pour changer les conditions de vie des personnes», a-t-elle ajouté.