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La vacance de Monsieur Gingras

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Le journaliste et critique musical Claude Gingras est décédé le 30 décembre dernier. À la retraite depuis 3 ans moins un jour, l’homme a écrit pendant 63 ans dans les pages du journal La Presse. Oui, vous avez bien lu: 63 ans! L’équivalent de deux longues carrières.

On m’a raconté les meilleures histoires et les pires affaires à propos de M. Gingras. Ne l’ayant pas connu personnellement, je suis condamné jusqu’à la fin de mes jours à essayer de saisir l’essence de la bête. Les êtres singuliers nous laissent souvent ce genre d’héritage.

Cela dit, dans cette tempête de contradictions, il y a une chose sur laquelle tout le monde s’entend: Claude Gingras était un être passionné. Passionné par la musique et également passionné par son métier. Tout aussi indépendant qu’intransigeant, il pondait des critiques qui étaient, si ça se dit, non négociables. Sa liberté d’opinion, il l’aura dégustée jusqu’à son dernier texte. Avec son décès, le poste de vigile de M. Gingras est désormais en vacance. Vacance dans le sens de vide. Et tout indique qu’il en sera ainsi pour de bon.

Pourquoi? Parce que tout le monde voit bien que l’espace consacré à la culture dans nos médias est de moins en moins grand. Parce qu’on a fini par confondre les mots «culture» et «divertissement». Parce que les forums citoyens de critiques donnent l’impression qu’on y dit les vraies affaires alors que c’est tout à fait faux. Suffit d’y jeter un coup d’œil pour comprendre combien il est aisé de bourrer ces tribunes à grands coups de tirs groupés favorables à certains navets qui polluent régulièrement nos grands et petits écrans.

Ajoutez à cela l’invasion infinie des influenceurs – les cr… d’influenceurs – et vous aurez droit à un portrait pas très encourageant pour l’avenir de la critique. Nul besoin d’être compétent en la matière pour être un influenceur. S’agit avant tout de savoir se vendre, le reste est à l’avenant. Pour lui, point besoin d’approfondir ses connaissances ni de bâtir sa crédibilité; sa notoriété, il ne la doit qu’aux likes et aux thumbs up.

Un influenceur n’assiste pas à une première pour voir le show. Il s’y présente pour se faire voir et pour y donner son propre show. Et pour être bien certain qu’on le sache, il se prend le selfie cent fois plutôt qu’une en se frottant la face sur celles des vedettes qui seront pognées pour jouer son jeu.

Un influenceur ne partage pas ses coups de cœur, il fait la promotion de ses coups de cash. Point à la ligne.

Il ne prend pas position, il la vend sans le moindre risque. Véritable homme-sandwich de l’ère des réseaux sociaux, il pourrait tasser sa mère du portrait pour faire plus de place à ses clients. Mon mépris pour la race des influenceurs est absolu. L’aviez-vous remarqué?

Au cours des dernières années, une mer d’influenceurs (et d’influenceuses) s’est infiltrée dans le paysage médiatique. Pendant ce temps, combien de journalistes ont nouvellement endossé le rôle de critique? La réponse fait peur.

Le critique Claude Gingras est mort. Et la critique se meurt.

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