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Disparition du sou noir: la fin d’une époque

Le budget annonce la disparition du «sou noir»

Lorsque Yvon Chicoine a vu l’ensemble des pièces de monnaie frappées par la Monnaie royale canadienne pour l’année 2013, il a eu un choc. La pièce d’un cent n’y était pas. «Ça donne un coup, confie le propriétaire de Monnaie de Versailles, un brin nostalgique. On est tellement habitués de voir, chaque année, une nouvelle série allant de la pièce d’un cent à celle de deux dollars.»

Depuis le 4 mai dernier, la pièce d’un cent n’est plus produite dans l’usine de Winnipeg de la Monnaie royale canadienne, et la société d’État cesse de la distribuer lundi.

Pour le moment, il n’y a pas de ruée vers les pièces d’un cent dans le magasin de M. Chicoine. Ses clients préfèrent les conserver dans un pot en se disant qu’elles prendront de la valeur au fil des ans. «Ils veulent toutefois des pièces de 2012 parce que c’est la dernière année, rapporte l’homme d’affaires. Avant que les pièces d’un cent disparaissent, ça va prendre du temps à cause des quantités énormes qu’on en a frappé chaque année.»

Pas moins de 35 G de pièces d’un cent ont été produites par la British Royal Mint depuis 1908, et par la Monnaie royale canadienne depuis 1931. Ce n’est pas la première fois qu’une pièce de monnaie canadienne disparaît. Le numismate chevronné André Langlois donne l’exemple de la grosse pièce d’un cent dont la production a cessé en 1920. «Ç’a pris une quinzaine d’années avant que les grosses pièces d’un cent cessent de circuler, raconte-t-il. Au moment du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, il n’y en avait plus. Ça ne veut pas dire qu’elle est devenue rare du jour au lendemain; en effet, les gens thésaurisent beaucoup.»

L’annonce de la fin de la production de la pièce d’un cent a encouragé Philippe Côté, un numismate amateur, à terminer sa collection. «J’ai senti qu’il était urgent de la compléter», avoue-t-il. Depuis un an, il navigue sur eBay pour trouver les pièces qui lui manquent. «La compétition est féroce, ce qui amène un “thrill” supplémentaire», ajoute le trentenaire. Il a commencé sa collection de monnaie très jeune et il l’a continuée à l’adolescence avec l’aide de son père.

André Langlois a aussi commencé à collectionner très jeune la monnaie, mais il est devenu au fil des ans un numismate chevronné. Il a déjà été propriétaire d’un magasin de monnaie. Il possède dans sa collection toutes les pièces canadiennes d’un cent de 1858 jusqu’à aujourd’hui. Il a aussi des pièces datant de l’époque de la Nouvelle-France. Au cours de sa carrière, il a examiné au moins 10 000 rouleaux de pièces d’un cent. «Je ne suis pas un collectionneur moyen. J’ai manipulé plus de monnaie que la plupart des collectionneurs, même avancés», admet celui qui est membre à vie de l’Association des numismates et des philatélistes de Boucherville.

Même aujourd’hui, de véritables petits trésors se retrouvent dans nos poches, d’après André Langlois. Il y a entre autres les pièces d’un cent datant de 2006. La Monnaie royale canadienne avait pris l’habitude d’inscrire un P sur les pièces en acier – qui répondent à un aimant – et non sur celles en zinc. La société d’État a toutefois commis quelques erreurs. «Il y a des pièces sans P qui collent à un aimant, révèle M. Langlois. Elles se vendent à plus de 200 $. J’en ai trouvé deux dans ma petite monnaie. L’erreur inverse existe aussi, et les pièces valent trois fois plus cher.»

Même si la pièce d’un cent n’est plus distribuée par la Monnaie royale canadienne, elle pourrait encore être frappée pour les collectionneurs. «Le 50 cents, on n’en voit plus dans les banques, mais il existe toujours», fait savoir M. Langlois. La pièce d’un cent aura peut-être une deuxième vie pour les numismates…

«Dot Cent»
La pièce d’un cent la plus chère est sans contredit celle de 1936 qui porte un point sous la date, d’après le collectionneur André Langlois. En 2010, une de ces pièces s’est vendue 402 500 $ lors d’une enchère à New York. L’histoire derrière cette pièce remonte à janvier 1936, au moment de la mort du roi George V. Son fils Édouard VIII monte sur le trône. Des matrices sont alors conçues pour représenter le nouveau souverain sur les pièces de monnaie. Puisque Édouard VIII voulait se marier à une femme divorcée, Wallis Simpson, il a dû abdiquer en décembre 1936. George VI a alors accédé au trône. La British Royal Mint n’avait plus le temps de concevoir de nouvelles matrices du roi, et les demandes de monnaie étaient importantes. Il a alors été décidé de reprendre les matrices de 1936, à l’effigie du roi George V, et d’y ajouter un point sous l’année pour signifier que les pièces avaient en fait été frappées en 1937. «Le cent et le dix cents [avec le point] n’ont jamais été envoyés aux banques. Il existe seulement quatre exemplaires de chacun, et ils sont entre les mains de spécialistes», dit M. Langlois, qui a pu prendre dans ses mains une de ces pièces rarissimes.

1858
À Londres, la British Royal Mint frappe la première pièce canadienne d’un cent afin de mettre un peu d’ordre dans le système monétaire canadien. Sur son revers est dessinée une vigne ondulée avec une feuille d’érable.

1908
La British Royal Mint ouvre une succursale à Ottawa. La première pièce frappée est le 50 cents, et la deuxième est celle d’un cent.

1910
La mention Canada est inscrite sur les pièces d’un cent.

1911
Les pièces d’un cent de 1911 ne portent pas la mention DEI GRATIA (par la grâce de Dieu), ce qui déplaît à la population canadienne, qui qualifie cette pièce de «païenne». L’année suivante, l’abréviation DEI GRA est inscrite pour contenter le public.

1920
La taille de la pièce d’un cent est réduite afin d’économiser le cuivre. Elle a le même format que le penny américain. Elle est ornée d’un nouveau motif comprenant deux feuilles d’érable.

1937
Pour souligner le couronnement du roi George VI, on dessine un nouveau motif sur la pièce d’un cent. Il s’agit d’une brindille et de deux feuilles d’érable. Ce motif demeurera jusqu’en 2012, date de la fin de la production de la cenne noire.

1948

Certaines des pièces d’un cent de 1947 affichent une petite feuille d’érable à côté de l’année, puisqu’elles ont été frappées en 1948. Ce subterfuge a été nécessaire parce que les nouvelles matrices n’étaient pas prêtes et que la demande de monnaie était pressante. C’est qu’il fallait enlever la mention ET IND : IMP, pour ET INDIAE IMPERATOR (Empereur des Indes), car l’Inde avait célébré son indépendance en 1947.

1967
Pour souligner le centenaire de la Confédération canadienne, la pièce d’un cent est ornée d’un pigeon biset en vol. Le motif a été conçu par Alex Colville.

1982
Jusqu’en 1982, la pièce d’un cent était parfaitement ronde. Pour aider les handicapés visuels à l’identifier, elle adopte en 1982 une forme dodécagonale (12 côtés). La forme ronde réapparaît en 1997.

1997
Les pièces conçues avant 1997 étaient principalement faites de cuivre. En 1997, leur composition change. Elles sont désormais faites de zinc et d’un placage de cuivre. Trois ans plus tard, on fabrique aussi des pièces en acier, avec un placage de cuivre.

2012
La dernière pièce d’un cent est frappée.

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