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À quoi ressemblerait un tribunal des violences sexuelles?

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La troisième vague de dénonciations de violences sexuelles en six ans au Québec a inondé les réseaux sociaux, générant des questionnements sur le niveau de confiance des victimes envers le système de justice. Dans la province, des élues veulent y remédier en mettant sur pied un tribunal spécialisé dans les violences sexuelles.

Mais, concrètement, comment une cour de ce genre fonctionnerait-elle?

À l’Assemblée nationale, des députées de quatre partis ont créé un comité transpartisan pour y réfléchir. Dans son mandat, le Comité d’experts sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale affirme vouloir étudier plusieurs «options», dont celle d’un tribunal spécialisé.

Les détails s’arrêtent toutefois là.

Selon la professeure agrégée à l’Université d’Ottawa Jennifer Quaid, une Cour spécialisée en violences sexuelles ne deviendrait pas la panacée dans ce dossier complexe. Elle aurait toutefois l’avantage d’offrir aux victimes des juristes et des magistrats mieux équipés.

«Ça ferait appel à des gens qui ont l’habitude d’appliquer les règles avec sensibilité et qui deviendraient plus habiles avec le temps», évoque-t-elle.

D’après la directrice générale de l’organisme Juripop, Sophie Gagnon, le système de justice dans sa forme actuelle, vient «reproduire des biais» véhiculés dans toute la population québécoise.

«Les crimes sexuels, c’est un problème de société. On a de la difficulté à croire les victimes quand elles prennent parole. Quand elles prennent parole, on a tendance à les blâmer», analyse-t-elle.

Si bien que les juges qui traitent des affaires de violences à caractère sexuel peuvent faire des faux pas, selon Mme Quaid. «On a déjà eu des problèmes avec des juges, même. Une mécompréhension du droit», indique l’experte.

«On a des formations et des expertises, mais c’est beaucoup plus informel. On ne peut pas garantir, dans un système surchargé, qu’on va voir le juge qui comprend bien la situation.»

Comment ça fonctionne ailleurs?

Les institutions judiciaires spécialisées dans le traitement des cas d’agressions ou de harcèlement à caractère sexuel ne sont pas coutume. Certains pays ont toutefois tenté l’expérience, chacun à leur façon.

Ébranlée par l’un des taux de viols les plus élevés au monde, l’Afrique du Sud a mis sur pied dès 1993 un système de tribunaux en violences sexuelles. Au début des années 2000, on comptait une cinquantaine de ces organes.

Efficaces au départ, les tribunaux sud-africains en la matière ont perdu de leur notoriété, allant même jusqu’à disparaître au début des années 2010.

En 2013, un rapport indépendant recommandait leur relance, demandant notamment d’y mettre en place des «salles d’audience spéciales pour les victimes», afin de cacher leur identité durant leur témoignage.

La Nouvelle-Zélande, elle, a attendu à 2016 pour lancer un premier projet pilote. Trois ans plus tard, le juge en chef du Tribunal de district néo-zélandais concluait que le projet pilote avait été un succès.

«Les affaires procèdent à peu près trois fois plus vite en moyenne. […] La plupart des plaignantes affirment que les procès sont gérés de façon à ne pas les re-traumatiser», écrivait le magistrat John Walker dans un communiqué de presse.

D’autres solutions qu’un tribunal des violences sexuelles?

Selon Sophie Gagnon, les besoins du Québec en judiciarisation des violences sexuelles ne sont pas noirs et blancs.

«Il y a des personnes dont les besoins ne répondent pas aux objectifs de la justice. Depuis le début de la vague de dénonciations, plusieurs personnes sont venues nous voir parce qu’elles avaient besoin d’avoir une conversation, que leur agresseur comprenne», relate-t-elle.

Le ministère de la Justice rapporte qu’une majorité de victimes connaissent leur agresseur au Québec. «Les victimes ne recherchent pas nécessairement la condamnation. On n’a peut-être pas envie que l’accusé se retrouve en prison», avance Jennifer Quaid.

Mais pour la frange de la population qui veut réellement se tourner vers la justice, un tribunal spécialisé pourrait prouver son efficacité, estime Mme Quaid.

«On a des tribunaux spécialisés pour les affaires familiales, pour la jeunesse, observe-t-elle. Je pense que c’est dans le même sens qu’on envisage un tribunal en violence sexuelle: on espère que les magistrats vont rendre de meilleures décisions.»

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