On connaît la capacité, voire le talent indéniable, de plusieurs chantres médiatiques à redéfinir les termes et concepts du débat public. Il est ainsi possible de s’amuser, dans les cas de figure les plus puissants, de ladite tendance orwellienne. Le fait, par exemple, que les antiracistes – requalifiés «racialistes» – soient devenus, l’espace d’une nuit, les vrais racistes. Que le racisme antiblanc, sorti tout droit du playbook lepeniste, trône aujourd’hui au sommet des racismes à abattre. Ou, comme me le répliquait récemment Jean-François Lisée sur Twitter, que le racisme systémique antiblanc existe bel et bien, la Shoah constituant ici une preuve de type CQFD. Passons.
Reste toutefois les autres cas, plus subtils ceux-là, rendant le comique moins facilement détectable. Parmi ceux-ci, l’habile mise en opposition entre l’identité québécoise et le régime fédéral canadien. Ce dernier, armé d’une monstrueuse charte des droits, s’affairerait à rouleau-compresser toute différence potentielle au nom du condamnable multiculturalisme-trudeauiste-délétère. En gros, sans la Charte à Trudeau, le Québec serait (enfin) en mesure d’assurer son identité.
Une fois un tel syllogisme exprimé, sans mauvais jeu de mots, la solution devient axiomatique : suffit de quitter le Canada.
Or, une réflexion plus soutenue débusque assez aisément le piège ainsi posé. Parce que la prémisse précédente soutient qu’un Québec indépendant, donc délesté de la Charte honnie, serait plus flexible pour ce qui est de sa quête identitaire. Sauf qu’à l’analyse, rien n’est moins sûr. Des pistes de réflexions, en vrac.
D’abord, parce que Québec jouit depuis 1975 d’une Charte des droits qui, fortement inspirée de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, vient assurer l’ensemble du paradigme habituellement reconnu en Occident : liberté d’expression, religion, égalité, etc. C’est ainsi que contrairement à une croyance médiatique forte, la principale disposition de la loi 101 invalidée par les tribunaux, celle propre à la langue d’affichage, l’a été non pas en vertu de la Charte canadienne, alors suspendue à cet égard, mais bien en fonction de… la Charte québécoise.
Secondo, parce que jamais personne n’avait alors osé, avant le ministre Jolin-Barrette, procéder à la modification de cette même charte sans unanimité de la Chambre. Jamais non plus une telle opération n’avait été effectuée sous bâillon. Jamais, enfin, la disposition dérogatoire propre à celle-ci n’avait-elle été invoquée d’entrée de jeu, tentant dès lors d’empêcher (honteusement) le contrôle judiciaire, concept pourtant névralgique à l’État de droit. Drôle de manière, pour un ministre de la Justice, de passer à l’Histoire, laquelle jugera. Morale de celle-ci? Qu’avant le récent coup de fronde caquiste, une culture de respect des libertés civiles chez nos élus régnait alors au rang des vaches sacrées. Vivement un retour à la normale.
Troisièmement, qu’un Québec souverain serait, à l’instar de tous les États de droit qui se respectent, signataire et ambassadeur des instruments internationaux de protection des droits de la personne. Ceci, par la force des choses, l’amènerait à reconnaître les décisions du Comité des droits de l’Homme de l’ONU le concernant.
Ensuite, que dans un Québec souverain, il y a à souhaiter que nos juges agissent à titre de gardiens des libertés civiles, intransigeants devant les dérapages d’un gouvernement excité par l’électoralisme à tout crin. Qu’ils reconnaissent les effets et impacts d’une loi discriminant nos minorités. Qu’ils s’objectent, une fois la preuve déposée devant eux, des propos d’un premier ministre affirmant que « l’objectif de sa loi est de faire plaisir à la majorité, afin d’éviter les extrêmes, parce qu’il y a des gens un peu racistes au Québec. »
Agir de la façon qui précède, n’en déplaisent aux chantres, n’équivaut en rien à un diagnostic de trudeauisme aigu ou de multiculturalisme grimpant. Plutôt une question de respect des libertés civiles, d’un droit international chèrement acquis, d’un refus de balancer la diversité en bas de l’autobus de la nation. D’épouser, d’étreinte serrée, les sages propos de Camus : La démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais bien de la protection des minorités.