Suis né en région, loin, creux dans le bois. La chance, sinon le privilège, de ce lien consubstantiel avec la nature, ses racines et zénitude intrinsèque. Privilège aussi d’avoir été en contact, morveux, avec quelques nations autochtones, notamment quand mon père, enquêteur, me traînait avec lui dans ses visites sur les réserves du coin.
Me souviens d’une, en particulier, où il me laissa avec une poignée de dames algonquines, manifestement heureuses de « garder » le blondinet de cinq-six ans et de lui raconter, pendant un après-midi ou presque, une tonne d’histoires et légendes ancestrales. De faire connaître à ce ti-cul aux yeux grand ouverts de fascination, comment elles en arrivaient à produire, joliment, tel ou tel truc artisanal. Fier comme un pan, on me gratifia d’un petit totem symbolique, en bois, sculpté dans le détail et aux couleurs magiques. Pendant longtemps, sinon tout le temps, ce dernier accompagna mon enfance et adolescence, veillant en quelque sorte sur celles-ci. Me comprends.
Tôt, cette exposition à cet autre univers, simultanément convergent et distinct, m’a amené à inconsciemment saisir la beauté de l’interculture, de cette richesse présente mais évanouie du fait de cette absurde incapacité à ériger les ponts collectifs nécessaires. Trésors stupidement enfouis, donc.
Parlant de stupide : début secondaire, je crois, un genre d’événement chasse et pêche, quelques centaines de personnes en salle, avec un show avec un espèce de gros jambon auto-surnommé Yvon Crevé [sic] :
-Y en as-tu icitte qui ont du sang indien?
Quelques quidams lèvent la main.
-Moi aussi j’en ai… sur mon hood de mon char !!
S’il en fallait, la violence de l’agression prit une nouvelle ampleur par l’hilarité générale de la salle. Mes yeux de jeune ado faisaient le tour de celle-ci, voir les gueules complices. Un choc. Ils ont quoi, toutes ces bonnes gens contre les Autochtones? Ils « nous » ont fait quoi, mettons?
Chaque rencontre, fortuite ou prévue avec un membre issu d’une communauté ou l’autre a réconforté, au fil des ans, ma perception d’enfant, celle du trésor enfoui. Est arrivée à Métro, elle aussi comme chroniqueuse et à peu près en même temps que moi, Maïtée Labrecque-Saganash, devenue amie depuis. Chacune de nos discussions se ventilait, côté temps de parole, approximativement de la façon suivante : 90% Maïtée, 5% Bérard, 5% silence, ce dernier étant névralgique à l’assimilation de la quantité d’informations, faramineuse, que débite cette encyclopédie vivante dès lors qu’il est question des enjeux afférents à sa communautés et autres : histoire, us et coutumes, techniques de pêche, respect des aîné.es , de la terre, spiritualité, tout y passe.
Lors d’une de ces mêmes rencontres, elle s’ouvrait sur le scandale des pensionnats, là où son père s’est retrouvé après avoir été arraché à sa famille, à l’âge de six ans. Dans son cas, destination La Tuque (oui, le Québec a lui aussi activement participé à la machination). L’horreur, bien entendu, particulièrement lorsqu’il est question de feu son oncle Johnnish, mort au pensionnat de Moose Factory, en Ontario, sans que famille en soit initialement informée. À quoi bon aviser une mère de la mort de son enfant, hein?
Même si je savais partiellement l’affaire, même si Vérité et Réconciliation l’avait confirmée, reste que l’ampleur de l’horreur et de l’injustice semblait relever tout droit d’un mauvais film de science-fiction. Un génocide culturel, commis par les Canadiens, Québécois inclus, Église catho au premier chef? Wow. Par la complicité d’élus, donc la nôtre, post-Macdonald-le-facho? Faut croire.
Le surréalisme de l’affaire et ses violences rendaient l’écoute difficile. Nos ancêtres ont participé à ça, sérieux? Euh… oui. Serions-nous ainsi complices par inadvertance ? Pour l’aspect antécédents, non. Mais si l’on s’aveugle volontairement devant les découvertes, une par une, des cadavres d’enfants enfouis, ou pire encore, si l’on tend à amenuiser la portée de nos responsabilités à cet effet – en bref, si l’on refuse l’Histoire pour ce qu’elle est – alors oui, faudra se résigner à plaider coupable.
Selon Platon : la plus grande forme de connaissance est l’empathie, celle qui nous oblige à suspendre nos egos et à se transporter dans le monde d’autrui.
Les mêmes sentiments, en somme, que peut ressentir un ti-cul de cinq ans devant un trésor ridiculement demeuré enfoui.