Quelqu’un a vu le formidable 22 juillet, film sur les atroces attentats terroristes de Norvège? Un néo-nazi, s’opposant au multiculturalisme et à l’immigration sur le territoire européen, en vient à assassiner, à froid, quelques dizaines de (tous) jeunes militants du Parti travailliste réunis.
L’une des survivantes, possiblement originaire du Proche-Orient, témoigne ensuite au procès dudit nazi. D’un calme olympien, son cri du cœur, néanmoins strident: «Ma famille et moi sommes parfaitement intégrés. Nous avons appris la langue, adorons l’endroit, la culture.»
Avant de déchirer l’âme: «Tous les jours, je me demande: comment quelqu’un peut-il me détester autant? Qu’ai-je fait pour mériter cette haine?»
Au moment d’écrire ces lignes, les scores combinés de Le Pen et de Zemmour aux présidentielles françaises avoisineraient les 30% d’appuis. Leur leitmotiv conjoint? Le classique anti-immigrant, ce dernier étant responsable du «suicide français», de nous dire ce même Zemmour, lequel propose du même coup d’interdire des prénoms autres que français sur le territoire (on peut comprendre, vu sa descendance algérienne, d’étendre sa fascisante mesure aux noms de famille), flirte solidement avec les thèses du Grand remplacement, et affirme sans gêne «qu’un musulman modéré, ça n’existe pas». N’en déplaise à ses ambassadeurs, on parle ici d’un candidat d’extrême droite. Pur jus. Ailleurs en Occident? Les petits populos-fachos, sous vernis d’acceptabilité électorale, poussent et prospèrent comme de valeureux chiendents. Orban, Bolsonaro et variations sur thèmes. Hâte au retour de Trump, vous?
Même si le Québec échappe pour l’instant à la contagion, reste que de récents épisodes ont de quoi laisser pantois. Les 18 000 dossiers d’immigration que Simon Jolin-Barrette, ex-ministre en charge, était sur le point de détruire froidement, sans égards aux humains derrière, n’eût été de l’intervention in extremis de la Cour supérieure. Les malheureux amendements au PEQ, programme par excellence afin d’attirer les cerveaux étrangers, à la suite desquels plusieurs durent plier bagage, à coup de pied au cul et sans appel, après avoir obtenu leur diplôme en sol québécois, et choisi celui-ci afin de poursuivre leurs rêves. La réussite d’un «test des valeurs» sous peine d’inconstitutionnelle expulsion, toujours dixit le même ministre. Un premier ministre qui, encore cet été, affirmait que «les immigrants qui gagnent moins de 56 000$ empirent mon problème».
En bref, une commodité économique, au mieux. Au pire, une nuisance identitaire.
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C’est l’histoire de ces trois jeunes hispanos, dont deux tout juste débarqués au pays, embauchés cet été par une entreprise de déménagement. Malgré le fait qu’ils aient à charrier mes quasi 5000 livres dans des boîtes trop lourdes, sympas à l’os. Se cassent le dos, tant au propre qu’à me baragouiner le français. On va apprendre, me laissent-ils savoir, péremptoirement. Tellement gentils, les gars, que j’ai charrié moi-même ma portion de boîtes et de meubles inutiles au deuxième étage de mon nouveau chez-moi. : « Histoire de délester, un brin, leur charge dérisoire, pour laquelle ils reçoivent un salaire inversement proportionnel à celle-ci. »
C’est l’histoire de Mohammed, mon fiable homme de ménage, qui me demandait, récemment: «Monsieur Frédéric, quel est le meilleur collège privé, à Montréal? C’est que je veux y envoyer ma fille. Est-ce que 5000 $ par année est suffisant, vous croyez?»
C’est l’histoire de Gabriela, arrivée ici enfant, sans un mot de notre langue, et qui agissait, quelques années plus tard, comme tutrice de… français.
C’est l’histoire de sa mère, neurologue dans son pays, qui devint ici infirmière auxiliaire et qui, après trop d’années universitaires supplémentaires, vient d’obtenir son diplôme d’infirmière.
C’est l’histoire de ces ingénieurs du Maghreb qui conduisent nos taxis, tard le soir, espérant payer les études à leurs enfants.
C’est l’histoire de ceux-ci, assis dans mes cours de la fac de droit, écoutant les yeux grand ouverts en quête de récits, d’énigmes intellectuelles et de nouvelles injustices à dénoncer.
C’est l’histoire, enfin, d’une autre société qui sera toujours à tes côtés. Parce que t’es chez toi, ici. Dès maintenant. Tout le temps. Sans 56 000 $ ou autres conditions. Avec le prénom que tu voudras. Parce que tu es nous. Et nous sommes toi. Symbiotiquement.
Parce que nous sommes amoureux, au final, des mêmes valeurs humanistes. Du même Québec. Et que j’échangerais, sans hésitation, l’ensemble de tes détracteurs pour plus d’individus de ton acabit.
Merci. Pour vrai.