L’usage du français est en recul au Québec, d’après les données du recensement publiées par Statistique Canada ce mercredi. Entre 2016 et 2021, la part des Québécois qui parlait français de façon prédominante à la maison est passée de 79% à 77,5%.
L’usage du français comme première langue officielle parlée dans la province a aussi vu sa proportion passer de 83,7 % à 82,2 %. De façon similaire, la proportion de la population québécoise capable de soutenir une conversation en français a connu une baisse, passant de 94,5 % à 93,7 % sur la période observée.
De plus, la proportion de Canadiens parlant le français a diminué en cinq ans, passant de 22,2% à 21,4%.
«C’est excessivement inquiétant et troublant. Mais ce n’est pas une surprise. Cependant les données démontrent que l’usage de la langue française diminue plus rapidement que prévu», considère Marie-Anne Alepin, présidente générale de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal.
Un autre fait marquant: le nombre d’allophones qui parlent une autre langue que le français et l’anglais de manière prédominante à la maison a augmenté. Cette proportion est de 12,7% en 2021, contre 7,7% en 1991. En dehors du français et de l’anglais, le mandarin et le pendjabi étaient les langues les plus parlées au pays.
On a vu un «grand changement de 2001 à 2016: l’adoption de l’anglais par les francophones. C’est ça qui fait bondir l’anglais comme langue parlée à la maison», analyse Calvin Veltman, sociolinguiste à l’UQAM.
Une conséquence de l’immigration?
Alors qu’on note un léger recul du français, l’anglais comme première langue officielle parlée a gagné près d’un point en cinq ans, passant de 74,8% à 75,5%.
Cette hausse s’explique principalement par l’immigration au Canada, d’après le directeur adjoint du Centre de démographie de Statistique Canada, Éric Caron-Malenfant. En conférence de presse ce mercredi, il note qu’une «grande majorité des immigrants ont une langue autre que le français ou l’anglais comme langue maternelle ou langue parlée à la maison».
Un Canadien ou Canadienne sur quatre, soit neuf millions de personnes, avait une langue maternelle autre que le français ou l’anglais en 2021. Un record depuis le Recensement de 1901, lorsque des renseignements ont été recueillis sur la connaissance des langues officielles pour la première fois.
En 2021, 80,6% des Canadiens allophones avaient l’anglais comme première langue officielle parlée, comparativement à 6,1% qui avaient le français.
Statistique Canada
Mais «l’anglais est aussi en régression», tempère Calvin Veltman. «Il y a tellement de nouveaux immigrants qui ne parlent ni anglais ni français que les statistiques sont en baisse.»
Et certains croient même que l’immigration n’aurait que peu à voir avec un usage amoindri du français. C’est le cas de Marc Termote, démographe spécialiste en sciences de la migration ainsi qu’en démolinguistique.
«La cause principale est le forte sous-fécondité des francophones: avec un indice de fécondité de 1,2-1,4 (selon les régions et les périodes) on est loin des 2,1 enfants par femme nécessaires pour maintenir le nombre de francophones. Cette forte sous-fécondité implique automatiquement une forte baisse du nombre de francophones, donc de leur poids démographique», fait-il valoir.
La langue française en recul depuis 1971
Notons cependant que le bilinguisme français-anglais de la population est particulièrement observé au Québec. De 2016 à 2021, le taux de bilinguisme dans la province est passé de 44,5% à 46,4%. Ailleurs dans le pays, ce chiffre est passé de 9,8% à 9,5%.
Le recul du français au Canada ne date pas d’aujourd’hui. Statistique Canada note que la proportion de Canadiens parlant principalement l’anglais est en croissance depuis 1971. Il s’agit de la première année de recensement pour laquelle le gouvernement collectait des renseignements sur la première langue officielle parlée.
Rappelons que l’Assemblée nationale du Québec a adopté en mai dernier la réforme de la loi 101 mettant à jour la Charte sur la langue française. Elle vient notamment limiter l’accès à des services gouvernementaux en anglais dans la province.
Plusieurs groupes de défense de la langue française se sont félicités de l’adoption du projet de loi. C’est le cas de la SSJB, qui voudrait par ailleurs étendre son application aux cégeps.
«Aussi, il faut investir massivement en culture et inciter la population à consommer “en français”! […] S’attarder à la situation de la langue d’usage au travail serait un bon départ», note la présidente de la SSJB, Marie-Anne Alepin.
Le ministre Jolin-Barrette tire sur l’opposition
À la sortie du Conseil de ministres, ce mercredi, le ministre responsable de langue française, Simon Jolin-Barrette, était invité à commenter les chiffres de Statistique Canada.
«C’est très inquiétant pour la situation du français au Québec», a-t-il lancé devant les journalistes. Et de poursuivre: «C’est pour ça qu’on a adopté la loi 96, elle va nous donner les outils pour corriger cette situation.»
Le ministre caquiste en a profité pour s’en prendre à l’opposition, les libéraux en ligne de mire, condamnant ceux qui voudraient amender la réforme de la loi 101. «J’espère que les oppositions réalisent le péril du français pour les prochaines années et qu’ils vont revenir sur leur position de charcuter la loi 96. C’est la loi qui va nous permettre de redresser la situation du français», a-t-il assuré.
Mais les mesures contenues dans la loi parviendront-elles à renverser la tendance? Peut-être pourra-t-elle freiner le déclin, mais elle «ne renversera pas la tendance», estime Marc Termote. Mais attention: il faut distinguer la région métropolitaine de Montréal du reste du Québec. Dans cette région, la pérennité du français est plus ou moins assurée, croit-il.