Au Canada, une personne qui est atteinte du VIH dont la charge virale est indétectable – ce qui veut dire qu’elle ne peut pas transmettre le virus – peut être accusée de voie de fait ou encore d’agression sexuelle si elle ne révèle pas son statut sérologique lors d’un rapport sexuel au cours duquel elle n’utilise pas de condom. Cette obligation de divulguer son statut sérologique confronte les personnes séropositives à une stigmatisation encore très présente.
Sébastien Aumont vit avec le VIH depuis plus de trois ans. Grâce à un traitement, sa charge virale a diminué après quelques mois, la rendant ainsi «indétectable» et donc l’empêchant de transmettre le virus à des partenaires sexuels. Depuis qu’il a contracté la maladie, Sébastien a pu prendre conscience de ce que c’est que de vivre avec le VIH et de la stigmatisation qui pèse sur les personnes séropositives.
Sur le coup, tu te dis que c’est terminé, t’as peur que les gens te voient comme quelqu’un de contagieux ou faible, que ce soit dans tes relations amicales, amoureuses ou au travail, ou encore que ça va affecter toute l’histoire de ta vie, car on va te voir différemment et que les gens vont peut-être avoir peur de toi.
Sébastien Aumont
Le chanteur aussi connu sous le nom de Sebz avait révélé au grand public son statut sérologique dans l’émission Si on s’aimait. Bien que la majorité des hommes qu’il a pu fréquenter ne l’ont pas jugé pour son statut sérologique, certaines expériences lui ont laissé un goût amer.
«Ça commençait bien moi et “lui”, quand je lui ai annoncé ça, il m’a dit que j’étais un déchet qui méritait de mourir, raconte Sébastien. Il y a beaucoup de préjugés qui viennent avec cette maladie-là. Le VIH, c’est une maladie qui est vue comme “sale” et comme reliée aux pratiques sexuelles ou à la drogue.»
Un autre homme qu’il avait seulement embrassé était tombé dans une anxiété incontrôlable lorsqu’il a appris, à l’écoute de l’émission de télévision, que Sébastien était séropositif indétectable. Il lui avait alors reproché de l’avoir mis en danger alors qu’aucune transmission n’est possible par un simple baiser, et encore moins lorsqu’une personne est indétectable.
«Sa crainte et son anxiété étaient plus fortes que tout. Sur le moment, quand tu te fais dire ça, tu te sens super mal, mais après ça, faut relativiser et se dire que tu n’as rien fait de mal et que tu n’es pas contagieux, tout en sachant qu’on n’avait même pas eu de rapport sexuel», raconte Sébastien.
Indétectable = intransmissible ou I=I
Une personne qui a été infectée par le VIH voit sa charge virale dite «indétectable» lorsqu’après la prise d’un traitement antirétroviral, elle diminue suffisamment pour atteindre un seuil qui rend le VIH intransmissible lors d’un rapport non protégé avec quelqu’un. Les personnes dites séropositives avec une charge virale indétectable peuvent ainsi vivre sans craindre pour leur santé et peuvent même avoir des enfants par voies naturelles.
Une criminalisation qui renforce la stigmatisation
Pour Sébastien, la criminalisation de la non-divulgation du statut VIH ne fait qu’appuyer sur la stigmatisation que vivent les personnes séropositives.
C’est comme si la société disait qu’on est un danger public. Ça nous met à l’écart, ça nous met une étiquette de virus ambulant. C’est comme si on était des hors-la-loi tolérés si on s’affirme et qu’on s’affiche, même si, dans le fond, on ne représente pas un danger.
Sébastien Aumont
Selon lui, cette loi vient aussi augmenter la vulnérabilité des personnes séropositives qui peuvent se retrouver face à des personnes malveillantes désirant s’en servir contre elles sur le plan judiciaire.
«Cette loi n’a pas été mise à jour. Je peux comprendre qu’il y a un temps, il n’y avait pas de médication, mais là, on n’est plus rendu là du tout, dit-il. Si tu as le malheur de tomber sur un juge qui s’avère homophobe, ça peut se retourner contre toi.»
Le directeur général de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA), Ken Monteith, rappelle qu’aux yeux des tribunaux, le consentement n’est pas valide sans divulgation du statut sérologique, sans condom, et ce, même si la charge virale de la personne est indétectable.
L’impact de la criminalisation va dans le sens contraire de ce qu’elle prétend faire. Le droit criminel prétend que ça va encourager les gens à divulguer leur statut, mais en réalité, ce qui se passe, c’est le contraire.
Ken Monteith, directeur général de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA)
«Il y a souvent des situations où il n’y avait pas vraiment de risque de transmission sur une base scientifique, mais les tribunaux ne sont pas là. Ils ne sont pas à jour avec la science, dit-il. On utilise des chefs d’accusation qui sont violents pour accuser quelqu’un de ne pas avoir dit quelque chose.»
Ken Monteith rappelle qu’il y a encore peu de temps, les personnes accusées de voie de fait ou d’agression sexuelle pour ne pas avoir dévoilé leur statut sérologique se retrouvaient sur le registre des délinquants sexuels. Il mentionne aussi que certaines personnes se sont vues emprisonnées pour ne pas avoir divulgué leur statut sérologique.
«La décision de ne pas divulguer son statut est très liée à la stigmatisation du VIH dans la société, dit-il. Il y a toutes ces choses qui sont arrivées dans le passé à différentes personnes et que les personnes peuvent ensuite craindre, avec légitimité. Ça explique pourquoi quelqu’un ne divulguerait pas son statut et le fait que ce soit criminalisé renforce cette stigmatisation.»
À travers son service VIH Info-Droits, COCQ-SIDA aide les personnes séropositives lésées dans leurs droits à cause de leur statut. Nombreuses sont celles qui se voient refuser une embauche ou congédier. Même encore, certaines d’entre elles voient des détails de leur vie privée partagés sans leur consentement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) s’est même positionné sur la question en déclarant que «le critère réaliste de transmission» n’est pas rempli lorsqu’une qu’une personne vivant avec le VIH suit un traitement antirétroviral et qu’elle maintient une charge virale inférieure à 200 copies VIH/ml mesurée par des analyses en laboratoire tous les quatre à six mois. Il conclut ensuite que «des poursuites ne seraient pas justifiées». Cette position avait déjà été partagée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) en 2019.
L’INSPQ déclare même que «la criminalisation de l’exposition au VIH, en plus de contribuer à la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH, nuit aux efforts de la santé publique pour prévenir cette infection».