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L’année de l’amour… entre autres

Printemps 1967. J’ai cinq ans. À côté de chez nous, des bagnoles s’engouffrent pour la première fois dans le tunnel Hippolyte-La Fontaine. En ville, le métro accueille de nouveaux usagers. Et sur une île qui n’existe même pas encore sur les cartes géographiques, on inaugure l’Expo 67.

Le sol de la Terre des Hommes, je ne l’ai foulé qu’une seule fois. Trop jeune, je n’en conserve que quelques vagues souvenirs. Je me rappelle de deux couleurs dominantes : le bleu ciel et le blanc. Ce bleu qui tranchait nettement avec le monde gris monochrome que nous avions connu jusque-là. Et un blanc immaculé qui n’avait pas encore subi l’agression du temps et des foules. C’était beau, c’était neuf, c’était propre. Je me rappelle aussi de quelques bâtiments dont les formes frisaient l’insolence. Il y avait la grosse boule des États-Unis et la pyramide inversée du Canada. Mon préféré était, et de loin, le pavillon de je-ne-sais-quoi qui faisait penser à un immense capuchon de chocolat tout frais sorti d’une confiserie interstellaire. Une œuvre architecturale à la fois impressionnante et appétissante. Et, bien sûr, il y avait la musique. Pas la musique des hippies, on n’était tellement pas rendus là. Je pense surtout à l’immortelle Un jour un jour. La vraie, celle de Donald Lautrec. Surtout pas la version de Michèle Richard, j’avais quand même déjà un minimum de goût. À la télé, ils se sont aussi subitement mis à inviter des mariachis à tout bout de champ. Avec les sombreros, les moustaches finement taillées et une volée de corazón qui pimentait toutes leurs rengaines.

À l’Expo, il y avait plein de monde. Partout. Lors de ma visite, je me souviens de m’être accidentellement détaché de mon groupe. L’espace d’un moment, au beau milieu d’un tourbillon infernal, je me suis considéré officiellement perdu. Au bout de quelques interminables secondes, j’ai retrouvé ma mère. Qui a choisi de célébrer nos retrouvailles en m’accueillant avec une tape derrière la tête. Les adultes manifestent parfois leur joie d’une bien drôle de manière…  «En 67, tout était beau, c’était l’année d’l’amour, c’était l’année d’l’Expo.» Et d’une taloche en ce qui me concerne.

Hormis les souvenirs, les miens comme les vôtres, que reste-t-il de l’Expo 67?  Sur le plan immobilier, si l’on excepte le Casino, pas grand-chose à vrai dire. Normal, l’événement était éphémère et tout avait été construit dans cet esprit. Dommage. La Place des Nations est maintenant à l’abandon, le foin pousse partout et ce qui s’est passé hier est resté là, loin derrière.

On a beaucoup parlé de l’héritage de l’Expo 67. De cette ouverture sur le monde, de cette prise de conscience de l’autre. Et c’est tout à fait juste. On est aussi souvent revenus sur la découverte de nouvelles saveurs, de ces nouvelles épices que l’on disait venues d’ailleurs. Quelques années plus tard, quand on a appris qu’une grande partie des viandes consommées sur le terrain de l’Expo était avariée et constituée de charogne passée à l’eau de Javel, on a préféré ne plus revenir sur le sujet. Le révisionnisme a bien meilleur goût…

C’est bête à dire, mais savez-vous quel est l’héritage le plus durable et le plus tangible d’Expo 67? C’est là que s’est tenu le premier grand camp d’entraînement de la magouille dans le milieu de la construction. Un sport qui connaîtra son apogée quelques années plus tard avec le chantier olympique où la cupidité des entrepreneurs et des syndicats a endetté presque deux générations de contribuables. Suffit de regarder la Commission Charbonneau pour constater combien la leçon a porté jusqu’à ce jour. Finalement, je préfère peut-être me souvenir de ma taloche.

Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.

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