Meta a annoncé qu’il bloque dès maintenant l’accès aux nouvelles sur ses plateformes au Canada en réponse à l’adoption de la loi fédérale C-18 qui oblige les géants du Web à négocier des ententes de partage de revenus avec les médias canadiens ayant produit l’information qu’ils partagent. Métro a demandé au professeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jean-Hugues Roy, les conséquences à craindre.
Q:Quelles sont les conséquences directes de la décision de Meta ?
R:«Facebook est une source d’information pour près d’un Canadien sur quatre, mais désormais une de leur source d’information n’existe plus. Les médias tirent beaucoup d’achalandage de ces entreprises. Cela dit, lorsque ces géants du web disent que les médias peuvent générer des revenus importants grâce à cet achalandage, c’est là que je décroche. Si le gouvernement fédéral voulait aller chercher des appuis à l’international, ça pourrait être une bonne idée.»
Q:Doit-on s’attendre à la disparition de certains médias ?
R:«L’objectif de C-18 était d’amener des revenus à l’ensemble des médias incluant les plus petits d’entre eux, donc ils seront doublement pénalisés, car les revenus attendus de C-18 ne seront pas là et les revenus attendus venant de l’achalandage de Google et Meta viennent de disparaître donc c’est assez dramatique. Si Meta persiste, on pourrait voir des salles de nouvelles disparaître dans les médias locaux.
Ça pourrait être important pour les médias qui ont un chiffre d’affaires plus petit et dont la proportion de publicité qui était tirée de l’achalandage en provenance de Google et Meta était importante. Ça pourrait être très dommageable pour ces petits médias-là.»
Q:Quelles sont les conséquences sur la qualité de l’information ?
R:«La désinformation va prévaloir sur les réseaux sociaux, mais ça va aussi laisser le champ libre aux politiciens et politiciennes de rejoindre leur public directement sans que les médias puissent interférer. Pour moi, l’information c’est comme l’huile à moteur de la démocratie, les rouages de la démocratie sont bien huilés quand l’information est bien financée, mais là on enlève de l’huile et on vient mettre du sable dans les rouages de la démocratie.
La désinformation au Canada et surtout en Français est moins importante qu’aux États-Unis. Ce qui surnage beaucoup ce sont les contenus viraux et religieux d’une certaine droite évangélique qui génère beaucoup d’interactions. On sait que cette droite évangélique est très proche du nationalisme chrétien aux E-U et peut être que, de fil en aiguille, ces courants-là vont prendre du galon.
Les pages de Pierre Poilievre et celle d’Éric Duhaime sortent beaucoup dans les pages non-média, donc ils vont peut-être prendre plus d’importance. Ça va juste devenir des contenus viraux et on ne discutera plus des affaires publiques du jour. Meta se tire une balle dans le pied s’ils persistent.»
Q:Quels précédents ce bras de fer peut-il créer ?
R:«Ce n’est pas d’hier que de grandes entreprises ont maille à partir avec des états et que ces derniers veulent endiguer leur pouvoir. Les multinationales sont encore plus grandes qu’avant et les états seuls ont plus de difficulté à endiguer leur pouvoir. C’est pour ça que le Canada doit tendre la main à d’autres pays, car c’est pas tout seul qu’il peut mener cette bataille.
Meta et Google amènent des bienfaits, mais ils amènent aussi des effets délétères et c’est le rôle des états de mitiger ces désavantages. C’est le rôle de l’état de veiller à ce que les Canadiens puissent avoir accès à de l’information de qualité. L’information est un bien public et les géants du web ne peuvent pas en bénéficier comme ça impunément, il faut participer au financement de cette information.
Les citoyens doivent aussi changer leurs habitudes en s’abonnant davantage aux sources d’informations qu’ils consultent.»
Q:Une entente est-elle possible entre Ottawa et les géants du web ?
R:«Je pense que oui, car Meta et Google on dit qu’ils étaient prêts à mettre de l’argent dans un fond pour financer l’information donc voilà la solution qui pourrait être élaborée d’ici à ce que la loi rentre en vigueur. L’objectif de la loi, il ne faut pas l’oublier, c’est d’amener de l’argent frais dans l’écosystème d’information au Canada. Si les géants du Web sont prêts à le faire pourquoi pas, mais il faudrait s’assurer que les sommes soient suffisantes. Dans mon évaluation, juste au Canada, Meta génère 200M$ de revenu grâce au contenu journalistique, donc qu’il en donne la moitié aux médias, ça serait déjà bien.»
Q:Quelles leçons doivent tirer les médias canadiens ?
R:«C’est une bonne occasion de réfléchir sur la relation des médias avec les géants du Web. Les médias sont un peu drogués aux clics et aux vues que les médias sociaux permettent de générer. Les médias sociaux servent à rejoindre le public, mais il faudrait peut-être diminuer la quantité de contenu qu’on met là-dessus. Une publication Facebook sur huit au Canada en français depuis 2021 était le fruit d’un média d’information. Il faudrait donc un peu se sevrer de notre dépendance aux réseaux sociaux.»