Décidément, les réseaux sociaux donnent lieu à des échanges philosophiques enlevants. Quand on n’y débat pas de la pilosité féminine ou des fontaines du Plateau- Mont-Royal, on se questionne sur ce qu’il est convenu d’appeler le harcèlement de rue. J’ai ainsi intercepté une discussion musclée sur ce qu’il est convenable de dire à une inconnue dans un espace public, un sujet qui m’interpelle personnellement. Je n’y peux rien : me faire aborder par un inconnu ne suscite la plupart du temps en moi qu’exaspération, quand ce n’est pas un autre sentiment plate.
Sur son mur Facebook, l’homme disait avoir klaxonné un gars qui sifflait une fille à vélo. Bien intentionné, un ami a répondu qu’en effet, siffler une fille était inacceptable : «Si tu trouves une fille jolie, tu lui parles en gentleman, tu ne la siffles pas», disait-il, en substance. «Nah, même ça, c’est gossant», a répliqué une fille, ce à quoi d’autres représentantes de la gent féminine ont acquiescé. Pour plusieurs d’entre elles, c’était moins la manière qui posait problème que d’autres petits dérangements, comme la fréquence, l’absence de consentement, l’incompréhension de l’objectif et parfois la peur.
Ce genre de débat se conclut invariablement par un grand romantique prêt à sonner le glas des relations humaines : «Ça y est, on ne peut plus parler à personne dans la rue!» C’est un argument convaincant, puisque aucun d’entre nous n’a envie de vivre dans une ville encore plus impersonnelle qu’elle ne l’est déjà, où personne ne se parle. Il s’agit pourtant d’une grossière imposture.
La preuve est que, dans les faits, les hommes ne sont appelés à faire preuve de prudence que lorsqu’ils s’adressent à 50 % des inconnus qu’ils croisent dans la rue : les femmes. Ils peuvent donc s’adresser sans souci à l’autre moitié de la population. Mais pour lui dire QUOI? «Pardonnez-moi monsieur, je ne peux m’empêcher de vous dire que votre veston vous va à ravir.» Ça, c’est aussi gentleman que ça risque peu d’arriver.
Et ça montre à quel point un compliment, aussi gentleman soit-il, est rarement neutre. Il est souvent sexuellement connoté. Et il porte forcément sur l’apparence : je vois mal un inconnu me complimenter sur mon intelligence. En outre, il s’agit en quelque sorte d’une forme subtile d’hétéronormativité, quand on pense au malaise que je créerais si je disais à la première venue qu’elle a un beau sourire, privilège que je ne revendiquerai pas.
En réalité, ceux qui craignent qu’il ne soit plus possible d’aborder les inconnus dans la rue craignent simplement de ne plus avoir le privilège de pouvoir commenter l’apparence d’une femme qu’ils ne connaissent pas. Or, certaines femmes ne sont pas à l’aise d’être interpellées par des étrangers pour toutes sortes de raisons qui leur appartiennent. Je me demande quel objectif supérieur en incite certains à prendre quand même le risque de mettre quelqu’un mal à l’aise.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.