Julie Artacho s’est faite connaître en 2012 grâce à Nous sommes les filles, un projet visant à mettre en valeur le travail d’artistes féminines de la relève. C’était à cette époque, pas lointaine du tout, où peu se déclaraient féministes – ou le faisaient du bout des lèvres – et où l’on se demandait même si le projet se qualifiait pour le titre. Depuis, la photographe de 31 ans a magnifié des tas d’autres femmes (et d’hommes) pour Châtelaine, Jeu, Elle et Clin d’œil.
À voir les résultats, on aurait tendance à croire qu’elle met les gens à l’aise. «Je n’ai pas l’impression de faire de magie. Je mets les gens devant une fenêtre, je fais des jokes et je leur rappelle de respirer». C’est peut-être sa formation en théâtre. «J’étais vraiment une très mauvaise comédienne, mais j’adorais l’écriture et la mise en scène», dit-elle. Récemment, dans une démarche tout ce qu’il y a de plus badass, c’est elle qu’elle a mise en scène devant la caméra, toute de chair et de lumière, dans une série érotique publiée sur le site This is better than porn. «Le désir et le sexe, ça fait partie de la vie de toutes les filles, toutes les femmes. Mais on n’est pas habitué de le voir», écrivait-elle sur sa page Facebook pour expliquer sa décision «d’aller au front avec son corps».
En effet, un gros corps épanoui sexuellement, on ne voit pas ça souvent. «Moi, je n’en ai pas, de modèle. En fiction, la grosse est l’amie, la drôle, la déviante ou la baise honteuse. Elle n’est jamais le premier rôle. On ne montre jamais qu’elle peut avoir une sexualité saine. Lena Dunham le fait dans Girls et tout le monde capote. Et encore, Lena Dunham a 100 livres de moins que moi».
L’ironie a voulu que le même jour, un autre photographe montréalais publie aussi sur Instagram la photo de ce que l’on devine être une grosse femme (dur à dire, sans la tête), nue, repliée sur elle-même, et dont le filtre, s’il fallait lui donner un nom, pourrait s’appeler «morbidité». À comparer les deux images, on comprend rapidement ce que Julie Artacho a voulu faire avec son corps : le contraire. En montrer la beauté. Et pour montrer cette beauté, il faut l’émanciper de ses stigmates. «Les photos d’itinérants en HD pour en magnifier la laideur, je pense qu’on en a fait le tour», lance-t-elle.
Mais Julie Artacho ne veut pas que faire du beau. «Je veux aussi faire du sens», dit-elle, sans que ça ne soit vraiment nécessaire. C’est une évidence. Du sens, il y en a, même s’il n’a pas toujours été compris, dans tout ce qu’elle entreprend. Je me souviens avoir commenté Nous sommes les filles avec perplexité (c’est le moins qu’on puisse dire). Trois ans plus tard, on est ailleurs. Assises dans son studio, elle et moi prenons la mesure de l’espace que le féminisme s’est fait dans nos esprits. Les discours sur la place des femmes en culture, le harcèlement de rue, le mansplaining, la diversité corporelle, ont évolué. Du moins, dans notre cercle restreint d’individus sensés.
Ça n’est pas sans effets. Ce petit texte sur l’expression «flawless» a transformé mon rapport avec mon corps. Tout ce discours sur la diversité corporelle, bien qu’il soit souvent motivé par des fins marketing, fait du bien. «En vacances à Cuba, récemment, j’ai passé la semaine en bikini. J’ai réalisé que mon corps n’appartenait pas aux autres», me confie Julie Artacho. «Avant ça, j’avais peut-être mis un maillot de bain huit fois en 18 ans».
Les photos de Julie aussi font du bien. «J’ai montré mon corps pour qu’on voit des corps comme le mien. Pour que ça devienne banal et que je puisse simplement exister. Je le ferai jusqu’à temps qu’on s’en câlisse». Pour l’instant, force est d’admettre que cela ne laisse encore personne indifférent*.
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* La photo de la série publiée ici en entête a été censurée par Instagram sur le compte de This is better than porn.