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Trente-cinq regards froids

Il y a 35 femmes sur la page couverture du New York Magazine. Trente-cinq femmes qui, silencieuses et immobiles devant la photographe, lancent un cri strident et font un pas en avant. Ces femmes accusent Bill Cosby de les avoir violées, à un moment donné au cours des 50 dernières années. Des femmes qui sont maintenant prêtes à sortir de l’ombre en donnant une formidable taloche au projecteur qui a aveuglé tout le monde pendant tout ce temps.

Je ne peux pas imaginer ce que traversent ces femmes en ce moment. Parce que je ne suis pas elles. Tout comme il serait indécent de prétendre partager leur souffrance puisque cette souffrance, je ne la connais pas et je ne la connaîtrai jamais.

Elles sont aujourd’hui admirées pour leur sortie, mais on devrait également souligner le mutisme qui leur a été si longtemps imposé. Ce mutisme ou ce refus de les entendre, c’est du pareil au même. Il n’y a rien qui te revient plus fort dans la face qu’une balle lancée sur le mur du silence.

Cette semaine, 35 femmes font les manchettes et prennent enfin la parole. Les choses avancent, les cloisons tombent. Il y a de quoi se réjouir. Mais il est interdit, alors là formellement interdit de célébrer notre solidarité. Parce que les courageuses d’aujourd’hui sont aussi celles qui ont été contraintes par une autre solidarité, celle du passé, qui les a obligées à se la fermer.

Ici, on ne parle pas seulement des victimes de vedettes et autres personnalités connues On parle des autres. Nul besoin de les chercher trop loin, ces femmes-là. Vous les connaissez. Ce sont vos mères, vos tantes, vos sœurs, vos blondes, vos amies, vos voisines. Celles qui ont subi leur mononcle et qui ont dû «garder ça en dedans» pour ne pas mettre en péril l’équilibre (!) de la famille. Celles qui ont dû endurer des p’tits boss aux doigts longs parce qu’elles craignaient de perdre leur emploi. Celles qui, en plus d’avoir été atteintes dans leur dignité, allaient être ostracisées si elles osaient raconter à peine le centième de ce qui leur était arrivé. Parce que ça marchait de même. Parce que toute vérité n’était pas bonne à dire…

Pour elles, toute tentative d’empathie demeurera insuffisante parce que leur douleur ne pourra jamais s’effacer.

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