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La charité en gang

Voici venu le temps des guignolées et des appels aux dons. C’est inouï quand même qu’en 2015, dans un des pays les plus riches de la planète, on ait encore besoin de charité pour que les gens puissent manger. Il y a quelque chose qui cloche dans ce portrait.

Chaque année, je suis rassurée par le fait que des individus et des organismes s’appliquent à soulager la misère dans laquelle vivent encore trop de personnes. Et du même coup, je suis découragée de savoir que tant de gens soient dans le besoin.

Chaque année, au même moment, on publie les résultats de sondages pancanadiens sur le don. Le Québec arrive invariablement bon dernier: on donne moitié moins que les Canadiens, en moyenne, selon l’Institut Fraser.

Le rituel annuel se poursuit avec les remarques désapprobatrices de quelques-uns de mes amis canadiens au sujet de cet écart entre eux et nous.

Et, comme chaque année, je leur réponds que le Québec a choisi une autre voie pour s’occuper du monde. On fait les choses différemment.

Notre solidarité, elle est collective. On a construit un filet social institutionnel. On choisit nos priorités d’entraide ensemble, par le biais de nos institutions collectives. Par exemple, le Québec a décidé de s’occuper des enfants en âge préscolaire en fournissant un service public de garderies. Cela donne un énorme coup de main aux familles, permet aux deux parents de travailler, améliore la santé des enfants. Au Québec, on ne fait peut-être pas autant de dons, mais on paie des impôts grâce auxquels on soulage bien des maux!

À l’échelle des individus et des communautés, la charité fournit une aide ponctuelle indispensable. Et quand je donne de mon temps ou de mon argent, ça me fait prendre conscience des difficultés que peuvent vivre mes concitoyens, ça fait appel à des dimensions essentielles de mon humanité, notamment à la générosité et à l’empathie.

Mais à l’échelle des sociétés, la charité ne devrait pas se substituer à l’action collective. Parce que la charité place le pouvoir de décider entre les mains de quelques personnes, celles qui ont les moyens de donner.

Prenez Larry Page par exemple, le cofondateur de Google. Il a donné des dizaines de millions de dollars à la recherche contre la paralysie de la voix. Est-ce le meilleur usage qu’une société puisse faire de ces millions de dollars?

Vous me direz que ces dollars n’appartiennent pas à la société, mais à Larry Page. Sauf que l’on sait désormais que les fortunes de ces entrepreneurs et grands actionnaires sont notamment construites sur les stratagèmes fiscaux de leurs entreprises. Et que les fondations charitables qu’ils créent sont elles aussi érigées sur un échafaudage fiscal qui détourne des sommes importantes des coffres des États. Ces mêmes États qui peinent à financer les services collectifs que nous avons théoriquement choisis ensemble, démocratiquement.

Le modèle québécois est d’une puissance qui m’émerveille constamment. À Noël, en plus de se réjouir de la guignolée, on pourrait aussi se féliciter de payer de l’impôt, c’est notre «don de gang».

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