Culture

Les fantômes de la crise d’Oka

Kanesatake - 270 ans de résistance sera présenté ce jeudi à 20h45 au parc Molson dans le cadre de Cinéma sous les étoiles.

Benoit Valois-Nadeau - Métro

 

Documentaire. Le hasard fait parfois bien les choses. Alors que les tensions entre Blancs et Mohawks refont surface, Kanesatake – 270 ans de résistance, d’Alanis Obomsawin, qui porte sur la crise d’Oka de 1990, sera projeté en plein air jeudi.

Une occasion parfaite de mieux comprendre un conflit encore mal connu et souvent raconté du point de vue des Blancs uniquement.

À l’époque, des Mohawks de la réserve de Kanesatake, à proximité d’Oka, s’opposaient à l’agrandissement d’un terrain de golf et à la construction d’un projet immobilier sur des terres qu’ils revendiquent.

Ce qui n’était au départ qu’une occupation pacifique a dégénéré en véritable blocus armé après un assaut raté de la Sûreté du Québec dans lequel un policier a été tué, le 11 juillet 1990.

La documentariste d’origine abénaquise Alanis Obomsawin a vécu le conflit de l’intérieur.

«J’étais dans mon auto, le 11 juillet, lorsque j’ai entendu à la radio qu’il y avait eu une fusillade, se souvient la cinéaste de 86 ans. Au lieu de me rendre à l’Office [national du film], je me suis tout de suite rendue à Oka pour voir ce qui se passait. J’ai décidé de changer ma production pour aller documenter ce qui se passait avec la police. Je pensais que ça allait durer une fin de semaine, trois ou quatre jours. Finalement, ç’a duré 78 jours.»

Deux mois et demi durant lesquels elle a filmé inlassablement, seule ou avec une équipe réduite, l’affrontement entre manifestants mohawks, policiers et soldats de l’armée canadienne appelés en renfort.

Un tournage extrêmement éprouvant, qu’elle a vécu en bonne partie avec les opposants, derrière les barricades mohawks.

«Ç’a été très difficile, très dur. J’ai couché dehors, par terre, pendant des semaines. Politiquement, c’était fou. Beaucoup de gens venaient documenter une heure ou une journée, mais ne voulaient pas rester plus longtemps que ça parce que c’était trop difficile. On ne savait pas ce qui allait se passer d’une minute à l’autre.»

«Beaucoup de gens m’insultaient parce que j’étais membre des Premières Nations et que je tournais un documentaire, ajoute-t-elle. Ça ne plaisait pas beaucoup.»

Jusqu’à la fin

Comme on le voit dans le film, plus la crise avançait, plus l’étau se resserrait autour des Mohawks. Ils ont finalement été confinés dans une zone extrêmement restreinte, entourée de milliers de soldats canadiens armés. Alanis Obomsawin a choisi de demeurer avec les résistants jusqu’à la fin, ou presque, contre l’avis de son employeur.

«Le courage des militants était énorme, se souvient la réalisatrice. Beaucoup étaient certains que ça se terminerait par une fusillade. Mais le courage et la spiritualité étaient tellement forts que moi-même, je me disais : “Si eux ont du courage, moi aussi, je dois avoir le courage de rester ici et de documenter ça jusqu’à la fin.”»

«CBC a sorti tous ses employés en septembre, lorsqu’un des Warriors a été battu par l’armée, disant qu’il allait y avoir un massacre. L’Office a essayé de me sortir plusieurs fois, mais je n’ai jamais voulu. Je suis restée jusqu’à la fin, insiste-t-elle. Je suis sortie le 24 septembre, deux jours avant les Mohawks, parce que je ne voulais pas que la police ou l’armée confisque mon matériel.»

Elle est tout de même retournée sur les lieux 2 jours plus tard pour filmer la tentative de sortie des derniers résistants, durant laquelle une jeune fille de 14 ans a été poignardée à la poitrine par la baïonnette d’un soldat.

«Ç’a été un tournage très dur, très difficile physiquement, mentalement et spirituellement. Tout était très fragile. Mais ça fait partie de l’histoire et je suis très contente d’avoir fait ce film.» -Alanis Obomsawin, cinéaste

Une finale bouleversante qui s’ajoute aux nombreuses autres images choquantes contenues dans Kanesatake – 270 ans de résistance : les accrochages violents entre Warriors et militaires, les check points arbitraires à l’entrée de la réserve ou encore des centaines d’habitants de Châteauguay, frustrés par le blocage du pont Mercier, brûlant «un sauvage» en effigie ou jetant des pierres à un convoi de femmes et d’enfants autochtones tentant de quitter la ville.

«Les gens ne peuvent pas s’imaginer le contexte de l’époque, fait remarquer Alanis Obomsawin, qui a consacré des dizaines de films à la cause des Premières Nations. On entendait constamment de la violence à la télé, à la radio. Gilles Proulx parlait des Mohawks comme si c’étaient les pires torchons du monde. Il incitait les gens à la haine. Ça faisait partie de la vie de tous les jours.»

«On en parlait à la télévision chaque jour, mais c’était mal compris. C’est une histoire compliquée et il y avait beaucoup de personnes contre les Warriors, contre les Mohawks, contre toutes les personnes des Premières Nations. Moi, j’étais très inquiète pour les gens qui étaient dans la rue. Le racisme au Québec était pas mal élevé à ce moment.»

Presque 30 ans plus tard, est-ce que ce racisme est encore présent, selon la réalisatrice? «Je pense que ça s’est beaucoup amélioré et que les Québécois ont mieux compris ce qui s’est passé au fil des années.»

En ce sens, Kanesatake – 270 ans de résistance aura certainement contribué à changer les mentalités.

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