La réalité des fournisseurs de services de l’industrie du jeu vidéo au Québec face à la pandémie de COVID-19
La pandémie est une catastrophe économique sans précédent et il faudra encore attendre longtemps avant d’en connaitre la réelle ampleur. Si l’industrie du jeu vidéo est quelque peu chanceuse de par son accointance avec les nouvelles technologies, tous les développeurs ne sont pas logés à la même enseigne.
C’est le cas notamment des fournisseurs de services ou prestataires de services dans l’industrie. Ils peuvent prendre différentes formes et se spécialisent dans différents domaines: assurance-qualité, musique, doublage, captation de mouvements (motion capture) et bien d’autres. Certaines de ces spécialisations requièrent la présence physique d’acteurs, de doubleurs ou même de musicien. Comment donc ont-ils réagi face à cette pandémie?
Sam Girardin, président du studio Game On spécialisé entre autres dans le doublage et la captation de mouvements ne nous a pas caché ses difficultés: « La pandémie de COVID-19 nous a touché de plein fouet. Pour nous qui nécessitons la présence physique d’acteurs dans nos installations, autant dire que nous avons dû stopper net certains de nos projets. »
Une période de remise en question
De son côté, Brian D’Oliveira, fondateur de La Hacienda Creative qui se spécialise dans la musique et les effets sonores, a plutôt profité de cette expérience pour se remettre en question et se former: « Cette crise m’a permis de me questionner sur ce que je faisais et ce que j’apportais à l’industrie. Puis, dans un coin de ma tête, je savais que j’avais envie de faire autre chose, de relever de nouveaux défis et d’élargir mes horizons. En fait, cette pandémie n’a fait qu’accélérer mes plans. J’ai repris l’étude et la pratique du code en C++ et je programme désormais mes propres instruments virtuels à partir d’instruments réels dont certains sont très anciens. »
C’est également ce que nous confie Benoit Beauséjour, chef des technologies chez Turbulent: « Nous sommes présentement dans une phase de recrutement pour faire grandir les équipes et les entreprises mais nous nous questionnions beaucoup sur le fait de travailler quasi-exclusivement à distance. Nous avons les outils, certains de nos employés sont en France par exemple. Nous avons également l’expérience de cette distance avec toutes les entreprises qui travaillent sur Star Citizen. Certaines sont en Europe, d’autres sur la côte ouest des États-Unis à Los Angeles. Donc on était en train d’étudier la question quand la crise du COVID-19 est arrivée et nous a forcé la main en quelque sorte. »
Une transition pas si simple pour certains corps de métier
Sam Girardin nous confie qu’il a essayé de trouver des solutions pour qu’au moins une partie de son activité puisse continuer: « Si pour la captation de mouvements nous nous sommes fait à l’idée qu’on ne pourrait continuer, nous avons trouvé une solution temporaire pour le doublage. Nous sommes allés livrer du matériel chez nos acteurs de doublage afin qu’ils puissent enregistrer dans les meilleures conditions. Car Game On est avant tout un gage de qualité et nous ne pouvons pas nous permettre de livrer un service qui soit en deçà de ce que nous faisons habituellement. C’est difficile mais nous sommes prêts à relever le défi. »
Si les difficultés ont été moins évidentes pour Turbulent, M. Beauséjour nous indique tout de même pour certains corps de métier, il y a eu quelques doutes: « Nous n’avons eu aucun mal à envoyer nos employés travailler de la maison. Mais pour le département Assurance Qualité [ou QA, les personnes qui testent le jeu en cours de développement NDLR], nous nous sommes demandés comment faire tant en termes techniques qu’en termes de sécurité. Comme certains testent le jeu sur différentes plateformes pour des questions de compatibilité, nous avons décider d’investir dans du matériel et de permettre à chaque testeur de travailler comme au bureau avec tous les appareils requis. Ça représente un coût mais nous ne pouvons pas nous permettre de livrer des parties du jeu qui ne sont pas testées convenablement. »
Un déploiement dans les règles de l’art
Un point sur lequel nous souhaiterions nous attarder est l’efficacité et la prévention dont a fait preuve Turbulent. En effet le studio montréalais par le biais de son département des ressources humaines a mis au point le Guide de la quarantaine (pas plate) que nous avons pu nous procurer. Ce fascicule de 32 pages distribué à tous les employés regroupe informations et ressources divisé en plusieurs catégories: les avantages du télétravail, l’alimentation, l’exercice physique, le lien social, le divertissement, la relaxation et le travail à la maison quand on a des enfants.
Chaque partie regorge de conseils, de trucs et astuces et de liens hypertextes pour permettre à chacun de s’habituer à ce nouveau mode de vie. Entre suggestions et recette de thé infusé à froid, les employés de Turbulent ont pu réaliser cette transition sous les meilleurs auspices. Ce guide n’a d’ailleurs pas pour but de les laisser livrés à eux-mêmes. Comme nous le dit Benoit Beauséjour: « Nous nous sommes servis de tous nos outils pour tenter de briser l’isolement. Par exemple, des canaux de discussions se sont créés au sein de notre canal Discord afin que des gens de même département se rassemblent et organisent des 5 à 7 virtuels. Le guide est là pour aider les employés mais pas pour remplacer la communication si essentielle à notre industrie. »
« Travailler à distance de manière plus permanente? Pourquoi pas? »
Si on imagine bien que le retour à la normale ou à une normale soit attendu par Sam Girardin et les employés de Game On pour des raisons évidentes, pour Turbulent en revanche, le doute est permis. « Lorsque l’on réalise que notre efficacité est la même voire meilleure à certains endroits, nous dit Benoit Beauséjour, on se questionne quant à l’utilité de nos bureaux ou même l’idée de les agrandir. On se dit que plutôt que d’avoir des espaces attitrés pour chacun, on pourrait plutôt transformer le bureau en espace de travail partagé entre tous les employés et chacun s’y rendrait quand il veut ou presque. Comme la majorité de nos outils et données sont stockés à distance (en cloud) presque tout peut se faire à partir d’un simple ordinateur portable. Rien n’est acté mais nous y réfléchissons. »
Reprise des activités
Suite à notre discussion qui avait eu lieu fin avril, nous avons recontacté Sam Girardin, à qui nous laisserons le mot de la fin, pour savoir ce qui avait changé depuis: « Le 8 mai nous avons reçu l’autorisation du gouvernement québécois pour reprendre nos activités de captation de mouvements et d’enregistrement de voix en leur proposant un solide protocole de sécurité sanitaire. Un regroupement d’entreprises de services et de studio de développement de jeux l’ont signé. Le tout a été orchestré par la Guilde du jeu vidéo du Québec. »