LETTRE OUVERTE – Un nouveau cas de culture du bannissement a fait les manchettes ces dernières semaines. Un médecin à l’hôpital de Montréal pour enfants et professeur de pédiatrie à l’Université McGill, le Dr Sherif Emil, a dénoncé la publication, en couverture du Canadian Medical Association Journal (CMAJ), d’une photo présentant une fillette de quatre ou cinq ans portant un hidjab.
Dans sa lettre coiffée du titre «N’utilisez pas un instrument d’oppression comme symbole de diversité et d’inclusion», le Dr Emil soulignait à juste titre qu’une telle image « rappelle une société islamique fondamentaliste, où les femmes sont forcées de porter le hijab dès la petite enfance ».
Dans certains pays, rappelait-il, les fillettes de cet âge n’ont pas le droit de faire du vélo, de nager ou de participer à d’autres activités nécessaires à leur bonne santé. Se basant sur des témoignages entendus de femmes de son entourage, il déplorait que «tant de femmes ont été traumatisées par une telle éducation, qui, je crois, frise franchement la maltraitance des enfants».
Des excuses inappropriées
On ne peut qu’être d’accord avec le Dr Emil et le féliciter pour cette prise de parole courageuse. Mais comme il fallait si attendre, le Conseil consultatif musulman du Canada et le Conseil national des musulmans canadiens ont jugé qu’il s’agissait là d’islamophobie. Ils ont réclamé des excuses de la part du journal et appelé à des sanctions contre le professeur.
Dans sa lettre d’excuse, la rédactrice en chef, Kirsten Patrick, considère que la publication de la lettre du Dr Emil était une erreur et affirme que le contenu de ne cadrait pas avec la ligne éditoriale du CMAJ.
Pourtant, la publication sans raison d’une photo de fillette voilée est elle-même de nature éditoriale. Le Dr Emil était donc tout à fait justifié de faire valoir un point de vue autre et la publication de sa lettre était de mise. La seule excuse qu’aurait dû présenter le journal était d’avoir publié une telle photo qui banalise un symbole d’oppression et d’inégalité des sexes.
La rédactrice en chef mentionne également que « le CMAJ respectera toujours le droit des femmes de choisir de s’habiller comme elles le désirent ». Elle commet ici une dérive : il ne s’agit pas du choix des femmes de s’habiller comme elles le veulent mais de l’imposition à une fillette d’un vêtement politico-religieux qui la marginalise et la handicape dans ses activités quotidiennes.
Devant la pluie d’injures et de menaces, le Dr Emil y est allé lui aussi d’excuses publiques dans une autocritique au ton nettement exagéré. Ce faisant, il contribue lui-même à la culture du bannissement qui empêche tout débat d’idées. Confessant avoir commis une erreur, il n’a heureusement pas renié ce sur quoi ses propos étaient fondés.
Une désolante contradiction
Mais le plus désolant, c’est que le professeur Emil déclare dans une entrevue à CTVNews qu’il s’ «oppose avec véhémence» à la Loi sur la laïcité de l’État et à toute loi qui exclurait une femme de son poste parce qu’elle porte le hidjab.
Le professeur est ici en complète contradiction avec sa propre lettre qui dénonce le port du hidjab par les fillettes. Si ce vêtement constitue un instrument d’oppression rappelant les sociétés islamiques fondamentalistes qu’il faut éviter d’utiliser comme symbole d’inclusion, il faut donc éviter de le normaliser à l’école en acceptant que des enseignantes le portent en permanence dans la classe.
Les même raisons qui amènent le Dr Emil à condamner le port de ce symbole religieux discriminatoire chez les enfants justifient le bienfondé de la neutralité religieuse vestimentaire des enseignants et des enseignantes.
Comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mouvement laïque québécois de 2015, la neutralité religieuse de l’État doit être «réelle et apparente». C’est ce que cherche à assurer la loi 21 afin de préserver la liberté de conscience des enfants et l’égalité des convictions. Même si le hidjab n’était pas porteur, par son histoire récente, de valeurs discriminatoires, il demeurerait un symbole religieux lié à une pratique fondamentaliste que rejette la majorité des musulmans, comme ceux et celles qui sont intervenus en Cour supérieure du Québec pour défendre la Loi sur la laïcité et réclamer l’interdiction du port de tout signe religieux à l’école.
Daniel Baril
Président du Mouvement laïque québécois