Évasion

L’Ouest à travers la fenêtre

La traversée d’une partie de l’Ouest canadien à bord du luxueux train Rocky Mountaineer n’est pas un safari. Reste que la nature, phénoménale, vole la vedette au cours du voyage entre Vancouver et Banff, de la Colombie-Britannique à l’Alberta, alors qu’on a tout notre temps pour l’admirer.

«Shoot your television and walk outdoors*.» Le temps que je lise ce message graffité sur un wagon immobile plein de roches, qu’on croise sur les rails entre Vancouver et Kamloops, à bord du Rocky Mountaineer, il est trop tard pour le prendre en photo.

Il sera aussi difficile de photographier cet énorme nid de balbuzard sans que la photo soit un peu floue. Et le même phénomène se reproduira à la vue des mouflons d’Amérique, perchés sur les parois rocheuses que le train frôle. Et allais-je oublier l’ours noir? LE fameux ours, que tous les passagers cherchaient du regard – que dis-je, réclamaient! – depuis le début du voyage et qui se pointera le bout du nez la dernière journée du périple. De lui, il ne restera que le souvenir en mémoire.

Le message croisé au fil des rails me hantera tout le trajet. «Tirez sur votre téléviseur et allez marcher dehors.» Impossible pour l’instant, je suis dans le train. Mais je regarde. Nous, les passagers, regardons tous par les grandes fenêtres. Et comme des enfants, le premier qui aperçoit un animal le crie pour que tous puissent avoir la chance de le voir aussi. C’est même le personnel du train qui nous a dit de le faire, alors, pourquoi s’en priver? On en profite. «Bald eagle*!» «Elk*!» «Deer*!»

Je suis dans le Rocky Mountaineer, ce luxueux train de tourisme qui offre des trajets dans l’Ouest canadien. La compagnie fête ses 25 ans cette année. Pour l’occasion, j’ai été invitée à effectuer le premier trajet de la saison, à la fin du mois d’avril. Je parcours le trajet appelé The First Passage to the West – bien qu’en réalité, le voyage se soit déroulé à l’envers, d’ouest en est. En deux jours, nous sommes allés de Vancouver à Banff, sur les rails du Canadien Pacific et du Canadien National, avec une pause d’une nuit à Kamloops, puisque le train ne circule que pendant le jour.

La traversée de l’Ouest canadien a une aura mythique, façonnée par l’histoire du chemin de fer et la beauté des paysages. À cette aura s’ajoute le concept de «slow travel»; un courant en tourisme qui invite à prendre le temps, à bien manger et à considérer le trajet, plutôt que la destination, comme le cœur du voyage. C’est pas mal ça, la définition du Rocky Mountaineer.

Parce qu’en effet, rien ne va vite ici. Vitesse moyenne de déplacement: entre 40 et 48km/h. Et il n’y a aucune façon de savoir combien de temps durera le trajet ou l’heure à laquelle on arrivera le soir. On sait seulement qu’on se rendra à la destination prévue. C’est que des délais imprévisibles peuvent survenir, alors que le train de passagers doit laisser la priorité à un train de marchandises, ce qui nous est arrivé deux ou trois fois. En outre, pas de Wi-Fi à bord, et souvent, pas de réseau cellulaire.

Tant pis. Pendant les deux jours que dure le trajet, je suis trop occupée à:

  1. Manger. Les déjeuners et les dîners sont tous très bien, considérant les contraintes de la cuisine dans un train. Ils mettent en valeur des ingrédients locaux;
  2. Écouter les informations sur la traversée données par Becky, Harper, Brandon, Melissa et Craig, les hôtes attitrés à notre wagon. On les retrouve d’ailleurs à la deuxième journée de voyage, ce qui nous donne le sentiment de les connaître un peu, et d’en être connus aussi;
  3. Regarder par les fenêtres qui couvrent presque tout le toit du wagon et à saluer les gens qui, nous voyant passer, nous saluent eux aussi de la main;
  4. Descendre en courant – notre wagon est à deux étages: au-dessus, les passagers; en bas, la salle à manger – dans le «vestibule», cet espace à l’extérieur où on peut prendre des photos. C’est aussi dans le vestibule qu’on constate les écarts de température entre, par exemple, la chaleur de la zone semi-désertique avant d’arriver à Kamloops et la fraicheur lorsqu’on se rapproche, le lendemain, des Rocheuses.

Les journées sur le Rocky Mountaineer commencent tôt. Vers 7h30, on est à bord. Des joueurs de cornemuse marquent de façon solennelle le grand départ, à Vancouver. À l’image d’une grande épopée.

Toute la beauté du trajet ne se dévoile pas d’un coup. En fait, ça prend du temps à démarrer. Les premiers kilomètres après Vancouver sont plutôt banals. Ça tombe bien, ça nous permet de déjeuner sans avoir peur de manquer quelque chose. On passe pâturages et paysages agricoles. Durant plusieurs kilomètres, on longe le fleuve Fraser, qui rend la vallée fertile en y transportant les sédiments des montagnes. Après Hope, on entre dans la forêt. Passé Lytton, on quitte le Fraser pour le fleuve Thompson. Arrivent les paysages plus arides, et leur faune particulière, jusqu’à Kamloops.

Le lendemain, on ressent une petite connexion à l’histoire en circulant sur la portion des rails où le dernier clou du chemin de fer du CP a été enfoncé, en 1885, à Craigellachie.

Tout au long de cette deuxième journée, les rails épousent le fil de l’eau: fleuve Thompson (encore), lac Shuswap, rivière Kicking Horse… On traversera même, pendant la journée, la ligne continentale de partage des eaux, à 1626m au-dessus du niveau de la mer, qui sépare celles qui s’écoulent dans le Pacifique de celles qui rejoindront l’Atlantique. On ne compte plus, non plus, les petites chutes qu’on croise ici et là. La température se refroidit. Nous rencontrons enfin les paysages grandioses des montagnes qui nous mèneront tout droit jusqu’à Banff, un peu avant que le soleil se couche.

*«Tirez sur votre téléviseur et allez marcher dehors»
*Aigle à tête blanche
*Wapiti
*Cerf

Infos pratiques

Coups de cœur

Notre journaliste était l’invitée du Rocky Mountaineer

Articles récents du même sujet

Exit mobile version