Ahuntsic-Cartierville

Sauver la plus ancienne cloche d’église de Montréal

Patrick Goulet et Jocelyn Duff ont été délégués par la paroisse de la Visitation pour faire revenir la cloche de 1732 dans son lieu d'origine.

Portée disparue depuis 30 ans, la plus vieille cloche d’église de Montréal a été retrouvée presque «miraculeusement» dans la cour d’un recycleur de métaux de Rivière-du-Loup, en 2021, grâce au travail d’enquête de Jocelyn Duff et Patrick Goulet, deux membres de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville. Pour empêcher qu’elle soit vendue à des intérêts étrangers, la Fabrique de l’église de la Visitation fait appel au nouveau ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, pour qu’elle soit classée comme bien patrimonial.

Digne d’un scénario de Steven Spielberg, l’histoire de la découverte de cette cloche qui est considérée comme étant l’une des plus anciennes d’Amérique du Nord n’est pas encore terminée, son sort restant incertain.

L’objet patrimonial constitue la pièce vedette d’une collection d’une centaine de cloches d’église, de navire et de train accumulées au fil des ans par un amateur d’art campanaire, aujourd’hui décédé. La succession familiale cherche à vendre en bloc le lot entier.

Jocelyn Duff, architecte et membre de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville

«La Fabrique se trouve dans l’impossibilité de racheter séparément la cloche et ainsi la rapatrier, explique Patrick Goulet, coordonnateur à l’entretien et aux services de l’église de la Visitation. C’est pourquoi elle a déposé l’an dernier une demande de classement urgente auprès de la précédente ministre de la Culture, Nathalie Roy, demande mais qui est restée sans réponse.»

La nomination de Mathieu Lacombe à titre de ministre de la Culture l’automne dernier fait espérer l’obtention rapide d’un avis de classement qui protégerait ce bien patrimonial «inestimable». Cette procédure obligerait le détenteur actuel, Les carillons touristiques de Rivière-du-Loup, de prendre des mesures de protection adéquates et d’empêcher sa vente à un acheteur de l’extérieur du Québec. «Nous attendons la réponse du ministre», ajoute Jocelyn Duff.

Outre la Fabrique de la paroisse de la Visitation qui a fait la demande officielle d’avis de classement, la députée de Mercier et porte-parole de Québec solidaire en matière de culture et de communications, Ruba Ghazal, et le député solidaire de Maurice-Richard, Haroun Bouazzi, ont écrit une lettre en ce sens au ministre Lacombe. Précédemment, la députée libérale Marie Montpetit, alors députée de Maurice-Richard, avait également entamé une démarche, laquelle est restée lettre morte.

Riche en histoire

La cloche de bronze, fabriquée en 1732, date du régime de la Nouvelle-France. Elle fut d’abord placée à la chapelle du Fort-Lorette, et ensuite transférée dans l’église de la Visitation, la plus ancienne de Montréal.

Patrick Goulet précise que des rénovations ont eu lieu à l’église de la Visitation au milieu du 19e siècle. «L’église possède deux clochers. Sur le clocher est, on trouve une cloche de Londres datant de 1815 et une cloche romaine de 1864. La cloche fabriquée en 1732 était sur le clocher ouest et ne convenait plus en raison de sa taille. Elle fut remplacée par trois cloches harmonisées plus petites.»

Les deux clochers de l’église de la Visitation Photo: Gracieuseté, Paroisse de la Visitation

Dix ans plus tard, le curé Charles-Philippe Beaubien sauve in extremis la cloche des rebuts. Elle est donnée au clocher d’à côté, aux frères de Saint-Gabriel, qui la gardent pendant environ un siècle, jusqu’à la démolition de leur bâtiment dans les années 1970. Par la suite, elle aboutit au Collège Beaubois de Pierrefonds, où elle est exposée.

Disparue depuis 1990

C’est lors d’une journée portes ouvertes à l’église de la Visitation, à l’été 2019, que l’architecte Jocelyn Duff apprend que la cloche de l’église est disparue depuis 1990. Il commence alors ses recherches et se voit par la suite confier un mandat plus officiel par la Fabrique de l’église. En compagnie de Patrick Goulet, il est délégué pour retrouver la cloche afin qu’elle puisse être exposée dans son lieu d’origine, l’église de la Visitation.

Après avoir été exposée au Collège Beaubois, semble-t-il que la cloche a été volée mais qu’aucune plainte officielle n’a été déposée.

La cloche est portée disparue depuis les années 1990 et, on ne sait pas encore trop pourquoi, elle a suivi le chemin de Trois-Rivières à Saint-Tite. Elle a par la suite été vendue ou volée. La Sûreté du Québec a été impliquée et, au gré des témoignages recueillis, l’enquête a permis de découvrir que le fondateur de l’exposition Les carillons touristiques, Jean-Marie Bastille, l’a achetée de toute bonne foi d’un revendeur qui s’est fait passer pour un antiquaire.

Jocelyn Duff, architecte et membre de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville

«Jean-Marie Bastille possédait une entreprise de recyclage de métaux et avait débuté une collection de cloches il y a très longtemps. Il possédait 600 cloches et carillons, qui étaient exposées dans un jardin. Tout a cessé lors de son décès en 2015», poursuit Jocelyn Duff.

La fameuse cloche Photo: Gracieuseté

M. Duff affirme avoir des preuves d’archives montrant que la cloche recherchée est bien la cloche de la Visitation. «Nous avons des photos et des documents d’origine où l’on voit notamment l’inscription gravée “Moyne m’a fait l’an 1732”. Des cloches de 1732 de cette envergure, ça ne court pas les rues. Elle représente un bien patrimonial inestimable.»

En vue de récupérer la cloche et la faire revenir dans son lieu d’origine, Jocelyn Duff est entré en contact avec la collection Pierre-Luc Bastille, le petit-fils qui a acheté la cloche, mais la démarche n’a pas porté fruit.

Un geste fort du ministre

Les deux mandataires de la Fabrique de l’église de la Visitation affirment que le classement par le ministre Mathieu Lacombe constituerait un geste fort. «Il montrerait que les objets patrimoniaux significatifs pour une collectivité font partie de son héritage et qu’il est transmissible aux générations futures», précise Jocelyn Duff.

«Deuxièmement, ajoute-t-il, le classement lui redonnerait officiellement son identité perdue, ce qui rendrait plus difficile au détenteur actuel d’en contester l’origine. La prescription prévue au Code civil pour déclarer un objet perdu ou volé est de trois ans. Après ce délai, le propriétaire du bien se trouve doublement lésé, parce qu’il doit effectuer lui-même ses recherches sans l’aide des corps policiers.»

«Un objet patrimonial de portée nationale ne devrait pas être placé face à la loi sur un pied d’égalité avec une bicyclette. Nous espérons que le ministre Mathieu Lacombe saura émettre prochainement un avis de classement favorable pour protéger ce trésor de la Nouvelle-France», conclut l’architecte.

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