L’UE est restée sur sa faim après un déjeuner entre le premier ministre britannique Boris Johnson et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lundi à Luxembourg, estimant que Londres n’a toujours pas présenté de solution satisfaisante au problème sensible de la frontière irlandaise, et ce à six semaines du Brexit.
Boris Johnson s’était dit «prudent, juste prudent» à son arrivée. «Prudemment optimiste», lui avait fait écho Jean-Claude Juncker.
La rencontre entre les deux dirigeants, la première depuis l’arrivée de Boris Johnson à son poste, a servi à «faire le point», ont constaté chacun de leur côté l’exécutif européen et Downing Street.
«Le président Juncker a rappelé qu’il était de la responsabilité du Royaume-Uni d’apporter des solutions juridiquement opérationnelles qui soient compatibles avec l’accord de retrait», a rapporté la Commission dans un communiqué. «De telles propositions n’ont pas encore été faites».
Côté britannique, le rendez-vous a été qualifié de «constructif».
«Les dirigeants ont convenu qu’il est nécessaire d’intensifier les discussions», a indiqué Londres, précisant que des réunions étaient désormais prévues «sur une base quotidienne», et pas seulement à un niveau technique mais entre le négociateur en chef de l’UE Michel Barnier et le ministre du Brexit Stephen Barclay. Les deux hommes étaient présents à Luxembourg lundi.
Boris Johnson doit aussi rencontrer lundi le Premier ministre du Luxembourg, Xavier Bettel. Cet entretien sera suivi d’une conférence de presse.
La question irlandaise reste au coeur des négociations. L’UE exige que Londres présente des solutions alternatives au «backstop», la clause de sauvegarde inclue dans l’accord de retrait refusé trois fois par le parlement britannique. Elle doit permettre d’éviter le retour d’une frontière physique dans l’île d’Irlande en gardant le Royaume-Uni dans un «territoire douanier unique» à défaut d’autre solution.
En prélude à cette rencontre, Boris Johnson avait publié dimanche une tribune dans le Daily Telegraph: «si nous pouvons faire suffisamment de progrès dans les prochains jours, j’ai l’intention de me rendre au sommet crucial du 17 octobre et de finaliser un accord qui protégera les intérêts des entreprises et des citoyens des deux côtés de la Manche, et des deux côtés de la frontière en Irlande».
Mais les Européens sont pour l’instant restés de marbre face aux forfanteries de M. Johnson. Lorsqu’il annonce «d’énormes progrès» sur la manière de traiter le problème de la frontière nord-irlandaise et se compare à Hulk, un super-héros, pour libérer son pays des entraves européennes, ils répondent «attendre» des propositions concrètes et se disent «peu optimistes» sur les chances d’un divorce arrangé le 31 octobre.
«L’Europe ne perd jamais patience», a assuré Jean-Claude Juncker à son arrivée à Luxembourg.
Malgré les dispositions prises par le parlement britannique, hostile à un Brexit sans accord, Boris Johnson «a redit qu’il ne demanderait pas un report et retirerait le Royaume-Uni de l’UE le 31 octobre», souligne Downing Street.
Lundi matin à Bruxelles, où se tenait une réunion des ministres des Affaires européennes – sans représentation du Royaume-Uni -, le chef de la diplomatie belge Didier Reynders a suggéré que Boris Johnson «apporte quelques idées».
«Si Boris Johnson ne vient pas avec quelque chose de nouveau pour sa rencontre avec Juncker, alors, honnêtement, il n’y a plus besoin pour nous de discuter et il y aura un Brexit dur», a averti son homologue autrichien Alexander Schallenberg.
Il n’y a «rien de bien tangible jusqu’à présent», a confié à l’AFP un diplomate européen de haut rang, commentant les dernières réunions entre le conseiller de Boris Johnson, David Frost, et l’équipe de Michel Barnier à Bruxelles.
La perspective d’un divorce sans accord est redoutée par les patrons européens: «un désastre», selon Markus Beyrer, directeur général de Business Europe.
Le Parlement européen, qui devra approuver un éventuel accord avec Londres, a de son côté haussé le ton. Il votera mercredi une résolution très sévère dans laquelle il exige une clause de sauvegarde (le «backstop») pour empêcher le retour d’une frontière physique entre l’Irlande et la province britannique d’Irlande du Nord, ce que Boris Johnson refuse.
Le président du Parlement européen David Sassoli a prévenu que l’assemblée ne donnerait pas son feu vert si les obligations prévues dans l’accord de retrait sur ses engagements financiers, le droit des citoyens et l’Irlande n’étaient pas respectées.
La solution serait de limiter la clause de sauvegarde à l’Irlande du Nord, a rappelé le président du Parlement. Cette région resterait territoire douanier de l’UE et deviendrait la frontière avec le reste du Royaume-Uni (Angleterre, Ecosse et pays de Galles), une solution pour l’instant rejetée par les Britanniques car elle ouvre la porte à une réunification de l’Irlande.