Quito, capitale de l’Équateur sous couvre-feu et contrôle militaire, se préparait dimanche à la première réunion de dialogue entre gouvernement équatorien et mouvement indigène, avec l’espoir de trouver une issue à la violente crise sociale provoquée par des réformes économiques négociées avec le FMI.
Située à 2850 mètres d’altitude, la capitale portait dimanche matin les stigmates des débordements de la veille, ont constaté des photographes de l’AFP: bâtiments incendiés, comme celui de l’Inspection générale des finances ou de la chaîne Teleamazonas, barricades de pierres, vitres brisées, pneus brûlés sur la chaussée.
Toute la journée, manifestants et forces de l’ordre se sont affrontés, échangeant tirs de fusées artisanales, de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc, au 11e jour d’une crise sans précédent qui a fait sept morts et 1340 blessés, tandis que 1152 personnes ont été arrêtées, selon le bureau du Défenseur du peuple, organisme public de défense des droits.
La colère populaire a été déclenchée par l’annonce, début octobre, d’une série de réformes économiques négociées avec le Fonds monétaire international (FMI) en échange d’un prêt de 4,2G$ US.
Mesure la plus polémique: la suppression des subventions au carburant, qui font plus que doubler les prix à la pompe.
Débordé face à cette situation incontrôlable, le président Lenin Moreno a décrété samedi après-midi le couvre-feu et placé la ville sous contrôle des militaires.
«Bonne volonté»
Une lueur d’espoir est arrivée dans la soirée avec l’annonce d’une première réunion de dialogue.
L’ONU et l’Église catholique «informent la société équatorienne qu’après avoir eu des contacts avec le gouvernement et les organisations du mouvement indigène, la première réunion de dialogue est convoquée pour le 13 octobre à 15h (20h GMT) à Quito», selon un communiqué conjoint.
«Nous sommes confiants dans la bonne volonté de tous pour établir un dialogue de bonne foi et trouver une solution rapide à la situation complexe que vit le pays», ont ajouté les deux institutions.
Chaque camp semble avoir fait un pas vers l’autre: le président, un libéral élu sous l’étiquette socialiste, a accepté de «réviser» le décret polémique sur les carburants, tandis que la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (Conaie) a renoncé à exiger comme condition préalable au dialogue l’abrogation du décret.
«L’objectif est l’abrogation du décret», a insisté dimanche auprès de l’AFP Salvador Quishpe, de la commission politique de la Conaie. Mais «si ce n’est pas possible, alors arrivons à un accord, à un point d’équilibre, ce qui pourrait être une hausse (des prix de l’essence), mais moins forte».
Rancoeur des indigènes
Pour Michael Shifter, président du groupe de réflexion Dialogue interaméricain à Washington, «c’est encourageant de voir que tant le gouvernement de Moreno que les dirigeants de la Conaie cherchent une solution pacifique».
Mais la violence des manifestations, avec une forte répression policière, et la décision du président, au pouvoir depuis 2017, de déplacer le siège du gouvernement à Guayaquil (sud) font que ce dernier «est affaibli politiquement», avec un «contrôle du pays précaire».
Il a face à lui la communauté indigène, qui représente un quart des 17,3 millions d’habitants et souffre de plein fouet des effets du décret: généralement pauvre et travaillant dans l’agriculture, elle voit ses coûts de transport s’envoler pour écouler ses produits.
Elle accumule aussi une rancoeur envers les classes aisées et les médias, dont elle est souvent absente.
«Si nous n’étions pas là, ceux de la campagne, les gens de la ville, les riches, ne pourraient pas vivre», clamait jeudi, furieuse, une manifestante indigène, Maria Escobar, 52 ans, exigeant le départ du chef de l’État.
Puissant et organisé, le mouvement indigène, dont des milliers sont venus des Andes et d’Amazonie ces derniers jours pour camper à Quito, a déjà par le passé renversé trois présidents.
Mais «une fois le dialogue ouvert, ce sera très difficile (pour eux) de revenir en arrière» et reprendre la mobilisation, affirme Santiago Basabe, politologue de la Faculté latinoaméricaine de Sciences sociales (Flacso).
Le pays andin restait largement paralysé dimanche, entre blocages de routes, transports publics quasi inexistants et puits pétroliers d’Amazonie à l’arrêt, ce qui a déjà forcé l’Équateur à suspendre la distribution de près de 70% de sa production de brut.