Le changement climatique et un pharaonique projet de digues à l’arrêt… Les habitants et autorités de Venise ont désigné mercredi les coupables des ravages provoqués par une «acqua alta», la plus forte marée haute depuis 50 ans, qui a submergé presque la totalité de la ville, la nuit précédente.
Gondoles renversées, vaporettos (autobus fluviaux) projetés sur le rivage, magasins et hôtels envahis par les flots. Une marée de 1,87 mètre de haut a envahi tard mardi la Cité des Doges, surprenant des centaines de touristes contraints de patauger dans les ruelles inondées tandis qu’un puissant sirocco faisait déferler les vagues sur la place Saint-Marc.
Le gouverneur de la région de Vénétie, Luca Zaia, a évoqué des «dégâts apocalyptiques», avec 80% de la ville sous les eaux, avant la décrue.
Cet épisode exceptionnel a fait un mort, selon les médias italiens, un Vénitien de 78 ans, mort électrocuté alors qu’il tentait de démarrer des pompes dans son logement inondé.
Il s’agiT de la deuxième plus haute «acqua alta» à Venise depuis le début des relevés en 1923, derrière celle du 4 novembre 1966 (1,94 mètre).
Les pompiers ont indiqué à 15h locales mercredi avoir effectué 400 interventions, avec 160 agents, compliquées par l’interruption des lignes téléphoniques.
Outre le centre historique de Venise, les îles du Lido et de Pellestrina ont été les plus touchées par les inondations. L’eau a envahi le célèbre théâtre de La Fenice et jusqu’à la crypte de la Basilique Saint-Marc.
La ville, qui compte en son coeur historique seulement 50 000 habitants, reçoit 36 millions de visiteurs par an, dont 90% d’étrangers, selon des chiffres officiels.
«L’avenir de Venise est en jeu, on ne peut plus vivre comme ça. Il faut la certitude de pouvoir habiter ici. C’est aussi notre crédibilité internationale qui est en jeu», a estimé le maire Luigi Brugnaro, la voix brisée par l’émotion, devant la presse.
Pour le ministre de l’Environnement, Sergio Costa, les causes du désastre sont «claires»: «c’est la conséquence directe des changements climatiques et de la tropicalisation des phénomènes météorologiques, avec des précipitations violentes et de fortes rafales de vent».
Gabi Brueckner, une touriste allemande de 58 ans, se dit «horrifiée». «Avec le changement climatique ça va empirer et à un certain moment, Venise va être noyée».
Greenpeace a appelé le gouvernement à revoir le Plan national sur l’énergie et le climat qui «prévoit une utilisation massive de gaz pour les décennies à venir, ce qui risque d’aggraver la crise climatique».
Le maire, qui a demandé l’état de catastrophe naturelle, a rappelé que l’idée d’un grand projet pour protéger la cité lacustre était née après la catastrophe de 1966.
Baptisé MOSE (Moïse en italien, acronyme de Module expérimental électromécanique), ce dispositif destiné à sauver des eaux la Sérénissime, doit «être terminé au plus vite», a plaidé le maire en soulignant qu’il reste «tant de choses à faire pour protéger tout le bassin».
Le projet consiste à installer 78 digues flottantes qui devraient se lever pour fermer la lagune en cas de montée de la mer Adriatique.
Démarré en 2003, il a pris du retard à cause de malfaçons et d’enquêtes judiciaires sur des soupçons de corruption autour de ce pharaonique chantier qui devait coûter environ 2 milliard d’euros et dans lequel ont été engloutis déjà 6 à 7 milliards. En outre, une marée avait endommagé en 2015 et de nombreux tests sont nécessaires avant sa mise en oeuvre qui n’est pas attendue avant 2020.
Pour Dino Perzolla, un habitant de 62 ans, «ils n’ont rien fait. Ca (Moïse) ne marche pas, ils ont volé 6 milliards d’euros, les politiciens doivent tous aller en prison».
Le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, est attendu sur place dans la journée.
Un pic de 1,60 mètres était annoncé pour 10H30 (09H30 GMT) mais la marée n’a en réalité atteint que 1,30 m. Un autre est prévu vers 23H00 et d’autres épisodes sont annoncés, à raison de deux par jour (marée haute) par le Centre des marées de Venise.
La cité lacustre cherchait à évaluer les dégâts: la célèbre Basilique Saint-Marc, joyau de la Sérénissime, a été inondée sous un mètre d’eau et la crypte et le presbytère complètement noyés.
Selon le procurateur (administrateur) de l’édifice, Pierpaolo Campostrini, cela s’est seulement produit cinq fois dans l’histoire de la basilique – érigée en 828 et reconstruite après un incendie en 1063 – et à trois reprises ces 20 dernières années dont une fois en 2018.
Des dizaines de bateaux ont rompu leurs amarres et dérivé dans la lagune, des gondoles ont été traînées dans les canaux ou atterri sur la rive.
«C’était apocalyptique, assez pour vous donner la chair de poule,» a déclaré à l’AFP-TV Marina Vector, alors qu’elle et son mari utilisaient des seaux pour évacuer l’eau de leur magasin de masques vénitiens. «L’eau a franchi la barrière anti-inondation en marbre (devant la boutique). Rien n’a résisté», dit-elle.
Un niveau de 1,87 m qui ne signifie pas pour autant que la Cité des Doges se trouve immergée sous près de deux mètres d’eau. Il faut en effet retrancher de cette hauteur le niveau moyen de la ville qui se trouve entre un mètre et 1,30 m.
Venise est régulièrement touchée par le phénomène des «acque alte», pics de marées particulièrement prononcés qui provoquent la submersion d’une partie plus ou moins grande de la zone urbaine insulaire.