La colère des Iraniens est restée vive lundi malgré le démenti du gouvernement qui a nié avoir tenté de masquer la responsabilité des autorités dans le drame de l’avion ukrainien abattu par erreur le 8 janvier.
Lundi pour le troisième jour consécutif, des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux semblant montrer des manifestations notamment à l’université Charif de Téhéran, à Sanandaj au Kurdistan et à Ispahan notamment.
Les manifestants y scandaient des slogans hostiles aux autorités de la République islamique, y compris au clergé chiite. Des appels ont été lancés sur les réseaux sociaux à d’autres rassemblements mardi, mercredi et jeudi.
Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a accusé Téhéran de vouloir «tout faire» pour mettre fin aux manifestations. Il a assuré que les États-Unis étaient «au côté» des manifestants «dans leurs appels en faveur de la liberté et de la justice et dans leur colère justifiée» contre leurs dirigeants.
Face à ces manifestations dénonçant un mensonge d’État, la police de Téhéran a reçu des consignes de «retenue», a indiqué son commandant, le général Hossein Rahimi. Les forces antiémeutes y sont cependant restées bien visibles lundi.
Devant la presse, Ali Rabii, porte-parole du gouvernement, a assuré que celui-ci n’avait pas cherché à «étouffer l’affaire» de la catastrophe aérienne.
Jeudi et vendredi, les autorités civiles avaient nié l’hypothèse selon laquelle l’avion d’Ukraine International Airlines ait pu être abattu par un missile iranien, avancée dès mercredi soir par le Canada.
Jusqu’à ce que samedi matin, les forces armées iraniennes reconnaissent leur responsabilité dans ce drame qui a fait 176 morts, des Iraniens et des Canadiens majoritairement.
«Nous n’avons pas menti», a affirmé M. Rabii: «ce que nous avons dit» avant l’annonce des forces armées se fondait «sur les renseignements qui (nous) avaient été présentés» et «selon lesquels il n’y avait aucun rapport entre l’accident et un (tir de) missile».
La révélation a créé un choc en Iran.
Manifestations à Téhéran
Dès samedi soir, une cérémonie d’hommage aux victimes dans une université de Téhéran a viré à la manifestation contre les autorités, aux cris de «mort aux menteurs», avant d’être dispersée par la police à coup de gaz lacrymogènes.
La manifestation de samedi à Téhéran a été à l’origine d’un nouvel accroc diplomatique entre Londres et Téhéran, après la brève interpellation de l’ambassadeur britannique Rob Macaire dans les environs du rassemblement.
Téhéran, qui a reproché à M. Macaire d’avoir été présent à un «rassemblement illégal» en violation des conventions diplomatiques, a menacé lundi soir d’expulser l’ambassadeur en cas de nouvelle «provocation».
M. Macaire avait assuré s’être rendu au rassemblement annoncé comme une veillée à la mémoire des victimes de la catastrophe aérienne, dans laquelle ont péri des Britanniques.
Dimanche soir, de nouveau, des rassemblements de colère, d’une ampleur difficile à évaluer, ont eu lieu à Téhéran avant d’être dispersés, comme la veille.
Selon une vidéo circulant sur internet, une femme semble être tombée sur le trottoir, constellé de sang, et est soulevée par plusieurs personnes dont certaines crient «on lui a tiré dessus!»
Mais selon le général Rahimi, «la police a traité les (manifestants) avec patience et tolérance» et «n’a pas du tout tiré» à balles réelles.
Lundi soir, des rumeurs circulaient sur les réseaux sociaux faisant état d’arrestations parmi les manifestants.
Des manifestations mi-novembre après l’annonce d’une hausse soudaine et forte du prix de l’essence avaient été violemment réprimées, et au moins 300 personnes avaient été tuées selon Amnesty International.
Fait extrêmement rare, l’agence de presse Fars, proche des ultraconservateurs a rapporté que les contestataires de dimanche avaient crié «Mort au dictateur!» et scandé des slogans hostiles aux Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, mettant ces cris de colère dans la bouche de «manifestants» et non de «voyous» comme elle l’écrit habituellement.
Lundi, une ancienne présentatrice d’émissions à la télévision d’État s’est excusée sur Instagram auprès de ses compatriotes d’avoir «menti pendant treize ans à la télévision».
Des images sur les réseaux sociaux ont montré par ailleurs des manifestants contournant des drapeaux américains placés au sol au lieu de les piétiner. «Waouh!», s’est enthousiasmé sur Twitter Donald Trump, saluant les «magnifiques manifestants iraniens».
Dimanche, il avait enjoint aux dirigeants iraniens: «NE TUEZ PAS VOS MANIFESTANTS (…) les États-Unis regardent». Berlin a également exhorté lundi Téhéran d’accorder au peuple iranien «la possibilité de protester pacifiquement et librement».
L’hostilité chronique entre Téhéran et Washington a connu un brusque accès de fièvre le 3 janvier avec l’élimination du général iranien Qassem Soleimani, par une frappe de drone américain à Bagdad.
L’assassinat de cet officier responsable des opérations extérieures de l’Iran a été suivie le 8 janvier de tirs de missiles iraniens, n’ayant fait aucune victime, contre une base militaire utilisée par l’armée américaine en Irak, quelques heures avant le drame du vol PS752.
Selon les forces armées iraniennes, la catastrophe est le résultat d’une «erreur humaine», commise par l’opérateur d’un système de missile alors que la défense du pays était sur le qui-vive par crainte d’une attaque américaine.
En quelques jours, l’apparente unité nationale ayant suivi la mort de Soleimani, à qui des foules énormes ont rendu hommage dans plusieurs villes, paraît avoir volé en éclats.