Barack Obama émerge tout juste d’une année désastreuse que déjà, le dernier rendez-vous électoral de sa présidence se profile à l’horizon. Et l’enjeu est de taille : les élections de mi-mandat, qui l’attendent en novembre, détermineront l’héritage que pourra léguer le premier président afro-américain à sa nation.
Barack Obama fait face, depuis le «bain de sang» électoral qui a porté 242 élus républicains à la Chambre des représentants (qui en compte 435) et fait basculer la majorité démocrate en 2010, à un Congrès dominé par un parti républicain particulièrement pugnace qui semble s’être fait un point d’honneur de bloquer toute initiative proposée par l’administration au pouvoir.
Dans un contexte où bon nombre d’Américains croient que leur pays est confronté à des défis d’envergure, le Congrès est en effet un des moins productifs de toute l’histoire américaine. Le nombre de lois qui y sont adoptées est anémique : selon l’Institut Brookings – un think tank américain –, seuls 8 % des projets de loi présentés au Congrès en 2011-2012 ont passé le tremplin législatif. L’inefficacité de l’institution est proportionnelle à son taux d’approbation au sein de la population américaine. Un récent sondage mené par l’institut d’analyse politique Rasmussen gratifiait le Congrès d’un famélique 8 % d’approbation. Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, confie que «la blague en vogue à Washington en ce moment, c’est de dire que le Congrès est plus impopulaire encore que la Corée du Nord ou le cancer.»
Pour éviter que l’obstruction systématique exercée l’année dernière par le parti républicain se perpétue au-delà de 2014, les démocrates ont besoin de remporter 17 sièges aux élections de novembre. Une mission impossible, selon Stuart Rothenberg, du Rothenberg Political Report, un média indépendant qui fait autorité en matière de politique américaine. «Un scrutin de mi-mandat “typique” semble se dessiner à l’horizon. Le président sera vraisemblablement un fardeau pour les candidats de son parti engagés dans des luttes serrées, et les démocrates passeront le plus clair de leur temps à essayer de convaincre les électeurs de ne pas voter pour exprimer leur insatisfaction à l’égard de la performance d’Obama», écrivait-il en décembre dernier.
Au grand dam des démocrates, c’est «le Sénat [qui] sera le véritable enjeu des prochaines élections, indique Frédérick Gagnon. Les républicains pourraient y faire élire entre 3 et 6 sénateurs en novembre – et ils ont justement besoin de 6 sièges pour y renverser la balance du pouvoir.»
La perte de la majorité sénatoriale laisserait à Barack Obama une marge de manœuvre minime pour mettre en place les réformes qu’il a à cœur : une législation plus sévère sur les armes à feu, des mesures plus favorables à l’environnement et une importante réforme de l’immigration qui régulariserait la situation de près de 13 millions d’immigrants illégaux installés aux États-Unis.
L’époque où l’Amérique scandait que tout était possible, comme le laissait entendre le slogan de campagne «Yes We Can» de son premier président noir, paraît cependant bien loin. Barack Obama, qui était pourtant porté aux nues au lendemain de son triomphe électoral de 2008, fait aujourd’hui figure de canard boiteux en manque de capital politique, selon M. Gagnon.
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«Plusieurs facteurs expliquent les difficultés d’Obama. L’important conservatisme ancré dans la société américaine n’est pas le moindre. La Right Nation, comme les milieux traditionalistes se plaisent à désigner les États-Unis, est une société relativement à droite en comparaison avec d’autres pays, comme le Canada ou la France. Les politiques de centre gauche proposées par Barack Obama en début de mandat – telles la réforme de l’assurance maladie ou l’adoption de mesures environnementales pour limiter les gaz à effet de serre – ont provoqué une véritable levée de boucliers au sein des plus conservateurs.»
La virulente critique médiatique par laquelle ces initiatives ont été accueillies n’a en rien aidé l’image du président, croit également M. Gagnon. «Certains présentateurs ont dit d’Obama qu’il était communiste ou socialiste, d’autres allaient jusqu’à prétendre qu’il n’était pas américain. Les démocrates ont perdu très tôt la maîtrise de l’image que le président incarnait au sein de la société.»
En décembre dernier, l’institut de sondage Gallup indiquait que Barack Obama récoltait un maigre 45 % d’appui, 7 points seulement au-dessus de son creux historique d’octobre 2011. Pour les démocrates, le souffle qu’inspirait Barack Obama au lendemain de son élection commence à devenir un vent contraire. «Les républicains ne veulent pas du tout lui faire de cadeau : ils ont les yeux rivés sur 2016, et ils attendent…», conclut Frédérick Gagnon.
Obamacare: une réforme qui laisse ses stigmates
La fermeture du gouvernement survenue l’automne dernier a certes fait mal au parti républicain, mais le départ calamiteux et les nombreuses ratés de la réforme de l’assurance maladie surnommée Obamacare devraient laisser des stigmates durables aux démocrates, selon Stuart Rothenberg, du Rothenberg Political Report.
Une opinion appuyée par Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand. «Obama a insisté dès le début de son premier mandat pour que le Congrès se concentre sur la réforme de la santé. Les débats ont duré 14 mois, pendant lesquels la Chambre des représentants n’a pratiquement rien fait d’autre. Au terme des discussions, les démocrates étaient déjà en période électorale, et ils ont subi une défaite historique en 2010.»
Signe que la course aux élections de mi-mandat est bel et bien commencée, l’Obamacare fait aujourd’hui l’objet d’une campagne médiatique négative financée par deux milliardaires américains très ancrés à droite, les frères Koch. Des séquences télévisées accusent les candidats démocrates dont l’élection est loin d’être assurée en novembre d’avoir voté en faveur de la réforme de l’assurance maladie. Les deux frères ont investi plus de 22 M$US dans l’affaire, et plusieurs candidats s’inquiètent de l’impact que cette croisade contre l’Obamacare aura sur les résultats de novembre.