Société

Bolsonaro

CHRONIQUE – Noël 2019. Le soleil brésilien est radieux, le temps sublime. J’observe, dans les moindres détails, la route nous menant à la favela la plus dangereuse du Brésil et, potentiellement, du monde. Peu auparavant, un couple égaré par mégarde de son GPS s’est trouvé mitraillé à travers son char, sans merci ni explications. D’autres histoires du même acabit glacent aussi le sang, notamment celle d’un journaliste décapité à coup de sabre et brûlé vif.

Le paysage se dégrade à vue d’œil. Voitures calcinées dans chaque fossé. Poteaux en fer empêchant les blindés de l’armée de circuler. Des cabanes de fortune faisant office de domicile. Collecte des ordures inexistantes. À l’instar, comme on me l’expliquera ensuite, de l’absence d’eau potable et d’électricité. L’école cessant en secondaire 2, trop de jeunes femmes se voient obligées de se prostituer au profit de leurs collègues de classe masculins, devenus proxénètes et dealers de dope.

Les lieux, esprits et atmosphères sont d’une violence inouïe. Des humains, doubles prisonniers à la fois d’un régime inique et souvent sanguinaire, et d’une mafia à la tête d’un écosystème survivaliste aux règles primates.

Au volant de son SUV Acura noir, mon chauffeur est péremptoire: «On va monter les vitres, ça commence à être dangereux.»

Quelques centaines de mètres plus loin, nous voilà au poste de pompiers. Flavio, mon fixer, se garroche directement sur le véhicule, et enguirlande le conducteur avec de très gros mots que je déduis malgré mon portugais inexistant.

– Qu’est-ce qui se passe?

– Cet imbécile aurait pu vous faire assassiner tous les deux!, répond Flavio.

– Hein?

– Oui. De deux façons, à part ça. Parce que qui, selon toi, rentre dans une favela avec une Acura les vitres teintées remontées?

– …

– Des dealers de dope. Donc si c’était ma gang qui vous voyait en premier, on mitraillait à travers le char. Et si c’était la police militaire de Bolsonaro, même affaire. Bref, vous avez été chanceux que je vous voie avant les autres.

Mitraillé le jour de Noël à des millions de kilomètres de chez moi, loin de ma fille. De quoi être fier.

On embarque dans la Lada du gentil fixer, direction le haut de la favela.

– Mais dis-moi, Flavio, de quel droit les flics de Bolsonaro peuvent tirer comme ça, sans avertissement?

– Eh boy. C’est le Far West, ici, my friend. Le BOPE (bataillon des opérations spéciales) a reçu l’ordre du président de «nettoyer» nos favelas, ce qui veut dire qu’ils rentrent ici quand ils veulent, et font feu sur tout ce qui bouge. Ce sont des criminels. Autant que la gang d’ici, si tu veux mon avis.

– Et ça arrive souvent?

– Encore la semaine passée. Sont rentrés avec des tanks, comme toujours, et ont tué quatre de mes amis, à 6 heures le matin.

– Wow…

– Tu as vu les poteaux en acier, sur la route? C’est pour les ralentir. Et les gars qui font les sentinelles, là et là, tu vois leur AK-47?

– Difficile à manquer.

– Ils sont là pour nous défendre, du mieux qu’ils peuvent. C’est un champ de tir, ici, my friend.

– Ayoye. Mais il n’y a aucun recours contre le BOPE? Parce qu’il y a un nom, pour ça: des assassinats.

– Bolsonaro est en train de faire voter une immunité complète pour leur permettre de… tuer dans le cadre de leurs fonctions.

– Une immunité complète?

– Civile et pénale.

– T’es sérieux?

– Est-ce que j’ai l’air de niaiser?

– Pas tant, non.

***

Au moment d’écrire ces lignes, le facho mortifère souffle le froid et le chaud, refusant de reconnaître sa défaite, mais admettant respecter la Constitution. 

Steve Bannon, qui s’y connaît en valet de potentat, a déjà tweeté, appuyé par d’autres républicains, qu’il s’agit d’une élection volée. À suivre, donc.

Le mot de la fin à Orwell: lorsque les fascistes reviendront, ils auront le parapluie bien roulé sous le bras et le chapeau melon.

Pas certain qu’il faille, en 2022, être autant distingué.

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