Le retour de Canadien à la vie cette semaine m’a incité à cesser de parler de tennis ou de soccer, et à recommencer à parler de vrai sport.
Que le lecteur soit toutefois prévenu : c’est du haut de mes diplômes en sociologie que j’ai écrit cette analyse. Le lecteur est donc convié ici à un exercice s’apparentant au croisement des émissions Apostrophes et L’antichambre.
Alors, ma première manchette, présentée par la librairie Le Port de tête, est : Canadien n’est plus une institution totale. Évidemment, les esprits les plus fins auront reconnu l’allusion au concept du sociologue canadien Erving Goffman, mort en 1982, quelques jours après l’élimination de Canadien par Québec.
Pour Goffman, tel qu’il l’explique dans son ouvrage Asiles paru en 1961, une institution totale, c’est «un lieu de travail où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur, pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et vigoureusement réglées».
Or, certaines institutions totales, telle la prison, se détotalitarisent depuis peu en assouplissant leurs règles et en les adaptant aux besoins particuliers de leurs membres : c’est aussi le cas de Canadien, alors qu’on apprenait cette semaine que les joueurs ne sont plus tous soumis aux mêmes règles, à commencer par Carey Price qui a le droit de ne pas parler au head coach.
Ma deuxième manchette, présentée par Moult Éditions, est : Canadien est devenu une institution dysfonctionnelle. Cette fois, j’interpelle la pensée de l’intellectuel autrichien Ivan Illich qui, dans son ouvrage La convivialité, paru en 1973, postulait que l’institutionnalisation d’une composante sociale finit parfois par prendre des proportions tellement pas d’allure qu’elle rend caduque la composante en question, en l’instrumentalisant. L’institution devient alors contre-productive et engendre de l’aliénation chez ses membres. Sérieux, tout Canadien est là. Depuis Carey Price jusqu’au chauffeur de la Zamboni.
Ma troisième manchette, présentée par la Librairie Raffin, est : Canadien n’est plus une institution, mais une organisation. Pour cette dernière manchette, je ferai référence au sociologue québécois d’origine suisse Michel Freitag qui, dans son essai Dialectique et société, vol. 3. Culture, pouvoir, contrôle.
Les modes de reproduction formels de la société, observe que les institutions, jadis guidées par des principes universalistes et transcendants comme la justice, la fierté, la fraternité, tendent à devenir des organisations dont la seule efficacité et le seul désir de se reproduire et de survivre représentent les éléments qui les poussent à se lever le matin et à se faire deux toasts. Soyons clairs : Canadien, en tant qu’institution, n’aurait jamais laissé partir Markov; Canadien, en tant qu’organisation, a laissé partir Markov.
Sérieux, si Stéphane Langdeau et son équipe veulent m’inviter à L’antichambre, mes manchettes sont prêtes pour au moins trois apparitions. Merci bonsoir Canadien.