Depuis quelques années, je passe deux heures par semaine dans le bureau de ma psy à chercher le problème qui me hante.
Et, jusqu’à tout récemment, j’avais l’impression que nos séances étaient l’équivalent d’une entrée de Canadien en zone adverse menée par Charles Hudon. L’intention de départ est chaque fois bonne, mais le résultat est toujours de la marde.
Or, récemment, en lisant l’essai politico-psychologique intitulé Colère et temps, de l’Allemand Peter Sloterdijk, j’ai compris que ce qui m’habite depuis tout ce temps, c’est simplement et justement de la colère. De la grosse colère sale à l’endroit de Canadien; colère que ma société m’a appris à refouler solide en m’invitant à me jeter corps et âme dans les affects érotiques (l’cul pis la boisson, sans oublier la consommation de bébelles) plutôt que dans les affects thymotiques (la colère, la vengeance, la fierté). Pis moé, comme un épais, j’ai pas vu ça aller.
En gros, la thèse de Sloterdijk – sérieux, le gars a tout un nom de power forward! –, c’est qu’avec le temps, on a appris à domestiquer la colère. Pire: on a vidé le politique de toute colère, ce qui fait que tendanciellement, on a perdu contact avec la capacité d’en piquer une grosse.
QUOI? CANADIEN VIENT DE RAPATRIER WEISE?!? O.K., là, je suis pas en colère. J’ai honte.
Faque moi, depuis le choix épouvantable d’Éric Chouinard par Canadien en première ronde en 1998 jusqu’à celui de Louis Leblanc en 2009 – aussi en première ronde –, en passant par la perte de Devan Dubnyk (allô la Terre!) qu’on venait d’obtenir au ballotage et qu’on a laissé croupir à Hamilton le temps de huit matchs pour le laisser devenir ailleurs l’un des meilleurs goalers de la Ligne nationale, je suis en saint-siffleux.
Or, jamais je me suis permis d’assumer ma condition de coléreux. À la place, j’ai continué pendant toutes ces années d’aller aux matchs avec mon chandail de Tom Kostopoulos sur le dos, d’acheter des produits de Canadien et de zieuter les pitounes de la Zone Molson Ex.
Tsé, c’est quand même drôle quand on y pense: notre société nous a rentré dans le coco que le contraire de la colère, c’est le calme et le contrôle de soi. Alors que le philosophe Michel Erman le montre bien dans son essai Au bout de la colère: c’est pas ça pantoute! Le véritable contraire de la colère, c’est la honte. La colère permet de rétablir sa dignité, alors que la honte, c’est la capacité qu’a l’individu d’accepter de se faire rire dans la face à répétition.
Pierre Bourgault, lui, disait que la plus belle des colères, c’est celle qui s’organise dans le temps, se structure et éclate de manière spectaculaire un de ces quatre pour briser un ordre et chercher à en imposer un nouveau. Genre Kordic, à l’époque, qui avait hâte de retourner à Boston pour «knock-outer» Jay Miller. Bref, arrêtons donc d’enfouir la nôtre dans six couches de cynisme et deux Ativan avant d’aller au lit.
La colère, c’est comme un match de quatre points: ça se prépare. Elle n’est pas qu’une impulsion irrationnelle de fan frustré; elle est même consciente et relève du choix.