Souvent, mes amis me traitent de malade mental lorsque, le samedi soir, plutôt que de sortir avec eux pour fêter l’anniversaire d’un ami ou de les accompagner à la soirée kinky de leur club échangiste préféré, je choisis de regarder Canadien perdre.
Honnêtement, je trouve ça un peu fort et je préférerais qu’ils me traitent de fou.
Or, à la défense de mes amis, depuis la désinstitutionnalisation des fous dans les années 1960, on a vidé de son sens le concept de folie pour le remplacer par la notion de «maladie mentale». Ce qui explique leur insulte.
«Ah, mais c’est ben mieux comme ça, Jean-Philippe, parce que le mot “fou”, c’était ben trop inapproprié et flou», me dites-vous. «Et préférer Canadien à une soirée kinky, c’est effectivement de la maladie mentale, genre un trouble panique avec agoraphobie.»
Bon, bon. Faisons un peu de vulgarisation. Qu’est-ce que la folie? D’un point de vue sociologique, c’est un écart par rapport à la norme.
Genre, Canadien qui bat les équipes les plus fortes de la ligne, ou encore, Canadien qui se fait battre par les clubs les plus poches de la ligne. Bref, la folie, c’est une affaire pas normale qui arrive, sans être de la maladie mentale pour autant.
C’est la même affaire pour mon choix de regarder Canadien le samedi, plutôt que d’aller fêter un ami ou faire l’amour en gang. Je m’inscris alors contre la posture normative qui prévaut dans notre société: celle du party perpétuel.
«Mais les fous sont dangereux et font peur, Jean-Philippe, alors que les malades mentaux sont généralement médicamentés et contrôlés.»
Tu-tu-tut. Dans une autre vie, j’étais sociologue, et il m’arrive encore de lire des ouvrages de sociologie. Et cette semaine, j’ai lu Les fous dans la cité – Sociologie de la folie contemporaine, du sociologue Marcelo Otero, paru chez Boréal en 2015.
Et vous savez quoi?
Dans ce livre, il est question d’un fait sociologique important: plus les gens sont fous, moins ils sont dangereux.
Ils ne devraient donc pas nous faire peur. Pourquoi? Parce qu’ils sont d’abord vulnérables.
Voilà ce que je suis. Un être fou de Canadien, mais vulnérable comme pas un. Vulnérable comme Canadien, aussi.
Puis, ma folie est créatrice, non destructrice.
Exemple: elle repousse les limites de ma raison et me pousse à m’acheter un chandail de Canadien à 250$ à la boutique du Centre Bell, même si je sais que je me fais fourrer solide, car il a dû coûter 2,50 $ à produire.
Je vous entends me rappeler que Descartes disait que la folie se positionne à l’extérieur de la raison, bref, que le fou est déraisonné.
Personnellement, je suis davantage dans l’équipe de Montaigne qui croyait que la folie s’insère dans le discours rationnel; elle est une paire de lunettes qui permet de voir le monde différemment.
Et c’est ainsi que, chaque samedi, à mes yeux, Canadien gagne la Coupe. Pendant que mes amis se font croire qu’ils trouvent l’amour.
Je soupçonne d’ailleurs mes amis d’être aux prises avec le trouble de la personnalité dépendante, un problème de santé mentale important. Je vais leur soumettre mon hypothèse.