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De la rue à l’université

Photo: Mario Beauregard/Métro

À son troisième séjour dans la rue, Shayana était «tannée» de tourner en rond. Elle s’est alors inscrite à l’école Emmett-Johns de l’organisme Dans la rue pour terminer son secondaire. Quelques mois plus tard, la jeune femme de 24 ans vient tout juste de compléter sa première session à l’Université Concordia, une première «finissante» à accéder à de hautes études, selon l’organisme.

«J’ai décidé d’aller à l’école parce que j’étais tannée de me retrouver à la rue pour la troisième fois de ma vie», confesse celle qui a alterné séjours en appartement, à la maison de sa mère et dans la rue pendant trois ans et qui, de son propre aveu, n’est «pas nécessairement à l’image des jeunes filles de la rue».

Shayana l’admet, fréquenter l’école de Dans la rue, qui vient en aide aux jeunes sans-abri, l’a aidée à s’organiser. «La première fois que je suis partie de chez ma mère, pour être indépendante, il fallait que je gère tout en même temps: le loyer, ma carte de crédit, le travail à temps plein, l’école à temps partiel… ça n’a pas marché. L’école m’a appris à gérer une chose à la fois. C’est exactement de ça que j’avais besoin», dit la jeune femme, qui travaille aujourd’hui dans un bar à temps partiel en plus de suivre ses cours.

L’école Emmett-Johns permet à chaque élève d’établir ses objectifs et d’avoir un but bien à lui, souligne Karine*, la seule enseignante de l’école, qui compte aussi une intervenante scolaire. «Il n’y a pas de cours magistraux, c’est de l’enseignement individualisé à 100%. L’école est faite pour accueillir les jeunes  comme ils sont, avec les choses qu’ils ont à travailler», ajoute-t-elle.

C’est exactement ce qu’a aimé Shayana, qui avait d’abord tenté de finir son secondaire à l’école générale aux adultes. «On te laisse être qui tu es, assure l’étudiante. Tu peux construire ton cheminement avec la professeure, contrairement à l’école aux adultes. Là, ce sont des adultes qui finissent en un claquement de doigts, et l’enseignant ne peut pas prendre de temps parce que les classes sont pleines.»

Trois examens de français de 5e secondaire plus tard, Shayana est maintenant étudiante libre à l’université, un endroit où elle a «toujours voulu aller» parce qu’il y a «bien plus de liberté qu’au cégep». «Avant de bâtir mon programme d’études, j’avais cette image de moi. Une image que j’avais déjà à 18-19 ans, et je l’ai réalisée en entrant à l’université», lance-t-elle tout sourire.

«J’ai un peu honte d’avoir été dans la rue, mais je suis quand même fière d’être passée par là. Parce que je suis devenue la personne que je voulais être.» – Shayana

Bien qu’elle ne raconte pas l’histoire de son séjour dans la rue, «même à ses meilleures amies», Shayana serait heureuse que son parcours puisse inspirer d’autres jeunes. «Les jeunes ne sont pas dans la rue seulement à cause de problèmes de drogue ou des autres stéréotypes, rappelle-t-elle. Il y a toujours d’autres problèmes en arrière, donc tu ne peux pas dire: “Hé, venez à l’école.” Si ça les inspire, tant mieux. Mais s’ils pensent que je ne suis pas celle qui a la meilleure image pour représenter les jeunes qui se sortent de la rue, c’est OK aussi.»

Quand elle retourne au centre de jour de Dans la rue, Shayana suscite bien des réactions, raconte-t-elle. «Il y en a qui me voient, qui savent que j’étais là il y a quelques mois, et qui me disent: “Hein, t’as fait ça vite.” Oui je l’ai fait vite parce que je voulais vraiment.»

Karine retient d’ailleurs cette détermination. «C’était une bonne élève, elle était vraiment motivée et a vraiment persévéré», signale-t-elle.

«Une mission globale»

L’école Emmett-Johns compte 18 élèves et il y a même une liste d’attente, explique Karine, l’enseignante. L’école est affiliée à la Commission scolaire de Montréal et suit un programme du ministère de l’Éducation qui comprend un volet d’intégration sociale.

«En plus d’offrir une formation générale – français et mathématiques de secondaire 1 à 5 –, elle permet de développer des habiletés dans plein de domaines: résolution de problèmes, communication, gestion de conflits. La mission est plus globale.»

*Pour des raisons de protection de la vie privée, l’enseignante a souhaité ne pas révéler son nom de famille.

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